En démissionnant mercredi après des mois de gestion des incendies de forêt qui l’ont épuisée, la jeune mairesse de Chapais, Isabelle Lessard, a appelé à une réflexion sur le manque de ressources en matière de santé mentale pour les élus. Et elle n’est pas la seule : partout dans le milieu municipal, on réclame du changement.

« Les dures semaines vécues en juin dernier lors des incendies de forêt ont entraîné des répercussions non négligeables sur ma santé et je dois prendre le temps nécessaire pour guérir », écrit Isabelle Lessard, âgée de 23 ans, dans sa lettre de démission.

En entrevue avec La Presse, celle qui s’était fait connaître durant les incendies de forêt dit avoir développé un syndrome de stress post-traumatique. « Quand ça s’est arrêté, je n’ai pas réussi à passer à autre chose. Je ne dormais pas mieux, j’étais constamment stressée, j’avais peur. Je n’étais plus la même, en fait », explique-t-elle avec émotion.

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Isabelle Lessard a été élue mairesse de Chapais, dans le Nord-du-Québec, en 2021.

Mme Lessard affirme au passage qu’« il serait plus que temps de normaliser » les enjeux de santé mentale en politique.

En 2023, je ne crois pas que ce soit à nous de changer, mais bien au système de le faire.

Isabelle Lessard

« Comme élus, on n’a pas de ressources. Quand on arrive avec un congé de maladie, on n’a pas d’assurance invalidité, pas d’assurance chômage, pas de programme d’aide. On n’est pas considérés comme des travailleurs autonomes, alors qu’en fait, on n’est pas des employés non plus. C’est comme une zone grise », précise-t-elle à ce sujet.

Le fait que les élus ne peuvent s’absenter plus de 90 jours, « ça doit changer », considère-t-elle aussi. « Quand on parle de maladie, de motifs familiaux ou d’autres raisons sérieuses, je pense qu’il faut que ça soit fait différemment. Avoir une date butoir au-dessus de nos têtes, ça fait qu’il faut nécessairement aller mieux en 90 jours. Mais ce n’est pas toujours la réalité. »

Le jour, le soir, la fin de semaine

Ces derniers mois, plusieurs autres élus ont fait part de leurs difficultés sur le plan de la santé mentale. Fin octobre, la mairesse de Sherbrooke Évelyne Beaudin avait annoncé qu’elle suspendait ses activités pour éviter « un état d’épuisement qui serait trop important et trop difficile à surmonter ».

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La mairesse de Sherbrooke, Évelyne Beaudin, lors d’une rencontre du Conseil des relations internationales de Montréal en avril dernier

Son cabinet se dit d’ailleurs aussi très préoccupé. « Il y a une prise de conscience collective à faire. Toutes les personnes qui œuvrent dans les services publics subissent actuellement la même pression et les attentes de la population en général sont très élevées », note le conseiller politique de la mairesse, Philippe Pagé.

Il rappelle que les élus « doivent se rendre disponibles le jour, le soir, la fin de semaine, lors des congés fériés et pendant les vacances estivales ». « Il faut surveiller son apparence, avoir du jugement, être un bon gestionnaire, faire des compromis, avoir du leadership, partager une vision tout en communiquant adroitement avec les médias et la population, sur toutes les plateformes », énumère celui qui côtoie au quotidien Mme Beaudin.

Le travail s’est complexifié, les enjeux municipaux se sont additionnés et les crises se multiplient. La vérité, c’est qu’il s’agit d’un métier très dur où la reconnaissance est souvent absente. Il y a une profonde discussion à avoir au Québec à ce sujet.

Philippe Pagé, conseiller politique de la mairesse de Sherbrooke

À Longueuil, Catherine Fournier, qui a dû composer pendant des mois avec son rôle de mairesse et la tenue du procès de son agresseur Harold LeBel, a estimé mercredi que « la nature de nos fonctions fait en sorte que nous sommes imputables de tout ». « Je ne remets pas cela en cause, car la démocratie repose sur ce principe fondamental, mais force est d’admettre que cela représente un poids énorme pour les humains que nous sommes. »

Après la politique, l’effet « boomerang »

Ex-maire de Verdun, Jean-François Parenteau peut également témoigner de la difficulté du métier. Il s’est retiré de la vie politique en 2021 en raison des « attaques personnelles et des commentaires gratuits de plus en plus présents » sur les réseaux sociaux.

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Jean-François Parenteau, ancien maire de l’arrondissement de Verdun

J’ai quitté la politique parce que j’étais épuisé, pas parce que je n’aimais pas ça. J’ai été en arrêt de travail plusieurs mois, même dans mes nouvelles fonctions. J’ai complètement crashé. Et je n’avais jamais connu ça dans ma vie.

Jean-François Parenteau, ancien maire de Verdun

La politique, « c’est un gros don de soi, c’est beaucoup qu’on donne, souvent au détriment de nos familles, donc il y a toujours un effet boomerang après la politique, sur le plan humain », ajoute l’ancien élu.

Selon lui, la sphère municipale est particulièrement difficile, « puisque c’est souvent là que les gens se revirent » quand ça ne va pas. « Il y a des pressions qui n’existent pas nécessairement au provincial et au fédéral », dit-il.

Pour l’experte en gestion municipale et métropolitaine Danielle Pilette, de l’UQAM, il importe surtout d’implanter « une réelle culture de collaboration ». « Les villes sont autonomes, mais ça ne veut pas dire que le maire doit être laissé à lui-même. La capacité de déléguer, surtout pour une crise majeure, ça doit être favorisé. Et ça doit se refléter dans les formations qu’on donne aux élus », dit-elle.

Un nouveau plan ?

À Québec, la ministre des Affaires municipales, Andrée Laforest, s’est dite sympathique à la situation de Mme Lessard. « On voit quand même que [pour] les élus, parfois, c’est difficile. Et les incendies de forêt, ça a été très difficile », a souligné la ministre mercredi.

En mars dernier, au moment où des élus avaient déploré un climat nocif dans leurs municipalités, Québec avait déjà annoncé un fonds de 2 millions de dollars avec l’Union des municipalités du Québec (UMQ) et la Fédération québécoise des municipalités (FQM) « pour mieux accompagner les élus ».

Le président de l’UMQ Martin Damphousse, lui, fait valoir que ce dossier « nous rappelle avec gravité que les élus municipaux sont avant tout des êtres humains ».

« Les défis et crises auxquels ils font face sont de plus en plus complexes, et sont aussi révélateurs de l’importance de leur rôle », a-t-il dit, en rappelant que l’UMQ travaille toujours à l’élaboration d’un plan pour mieux soutenir les villes et leur permettre d’étendre leur programme d’aide aux employés aux élus.

Québec assure aussi vouloir mettre en place « des moyens pour fournir l’aide requise à ceux qui en ont besoin ». En plus de formations et de campagnes de sensibilisation, le harcèlement et l’intimidation sont déjà visés par un plan d’action ministériel lancé avant les élections de 2021, rappelle le cabinet de Mme Laforest.

D’autres élus surchargés

Épuisement, surcharge de travail, intimidation : partout sur la scène politique, des élus ont quitté le navire ou fait une pause au fil des ans. En voici quelques exemples.

Françoise David

PHOTO ANDRÉ PICHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

Françoise David annonçant son départ de la vie politique, en 2017

En janvier 2017, Françoise David, qui était alors co-porte-parole de Québec solidaire, avait annoncé sa démission pour éviter le pire. « J’arrête avant de tomber dans ce qu’on appelle le burn-out ou l’épuisement professionnel », avait-elle dit au cours d’une allocution émotive prononcée devant un groupe de militants de sa circonscription de Gouin.

Mélanie Clavet

PHOTO TIRÉE DU SITE DE LA MUNICIPALITÉ DE PETITE-VALLÉE

Mélanie Clavet

À Petite-Vallée, en Gaspésie, la mairesse Mélanie Clavet a annoncé en mars dernier qu’elle se retirait de la vie politique. Elle a alors cité deux principaux facteurs : des menaces et des agressions verbales, et le fait que les maires et mairesses de petits villages doivent souvent cumuler deux emplois pour arriver à joindre les deux bouts.

Ian Lacharité

PHOTO FOURNIE PAR IAN LACHARITÉ

Ian Lacharité, ex-maire de Wickham

Élu en 2021 dans la municipalité de Wickham, dans le Centre-du-Québec, Ian Lacharité a démissionné le 21 mars dernier après un mandat et demi comme conseiller municipal. Il a ensuite porté plainte à la Sûreté du Québec : après plusieurs messages hostiles sur les réseaux sociaux, c’est une « altercation » impliquant « un citoyen avec [s]a conjointe » qui a fait déborder le vase.

Melanie Mark

PHOTO CHAD HIPOLITO, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Melanie Mark après l’annonce de sa démission, le 22 février 2023

En février dernier, la première députée autochtone de l’Assemblée législative de la Colombie-Britannique, Melanie Mark, a annoncé sa démission en s’en prenant plus directement au milieu politique comme tel. Elle a évoqué un « environnement politique dysfonctionnel ». « Cet endroit ressemblait à une chambre de torture. Les attaques contre ma personne ne me manqueront pas », a-t-elle illustré.

Jean Lamarche

PHOTO FRANÇOIS GERVAIS, ARCHIVES LE NOUVELLISTE

Jean Lamarche

À son retour au travail après un congé de maladie de six mois cette année, le maire de Trois-Rivières, Jean Lamarche, a avoué avoir songé à démissionner. Épuisé par la recherche de l’unanimité sur un projet de parc industriel, l’élu a expliqué avoir changé d’approche face à l’appareil municipal pour retrouver un certain équilibre. En entrevue avec Le Nouvelliste en juillet, le maire a déploré la radicalisation des discours et le climat ambiant qui mine le moral des élus municipaux.

Luc Fortin

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, ARCHIVES LA PRESSE

Luc Fortin, en 2021

Alors ministre de la Culture et des Communications dans le gouvernement de Philippe Couillard, le député de Sherbrooke Luc Fortin avait quant à lui fait une pause de plusieurs semaines, au printemps 2016, en raison de la surcharge de travail. En entrevue avec La Tribune récemment, il s’est rappelé qu’il était « au bout du rouleau », s’inquiétant que les réseaux sociaux aient « multiplié les commentaires agressifs ».