(Ottawa) La crise du logement est telle au pays que le gouvernement Trudeau est prêt à sortir le bâton pour assurer la mobilité des travailleurs de la construction entre les provinces. La mise à jour économique présentée par la ministre des Finances, Chrystia Freeland, prévoit 15 milliards supplémentaires pour la construction d’appartements locatifs.

Le Canada aura besoin de travailleurs pour construire ces 30 000 appartements alors que sévit une pénurie de la main-d’œuvre un peu partout au pays. Le gouvernement compte s’y attaquer sur deux fronts : par l’immigration et par la négociation avec les provinces. Il compte les inciter à « alléger les formalités administratives » qui empêchent le déplacement des travailleurs « en utilisant les transferts fédéraux et d’autres formes de financement ». Un fonctionnaire du ministère des Finances a confirmé à La Presse que le gouvernement n’excluait pas d’utiliser le bâton si la carotte ne suffit pas. Le transfert relatif au marché du travail s’élevait à 3,5 milliards dans l’ensemble du pays en 2021-2022. La part du Québec était de 923 millions.

Ottawa vise une « pleine mobilité interprovinciale de la main-d’œuvre ». Il veut notamment utiliser le programme Sceau rouge pour éviter qu’un travailleur ait à faire reconnaître ses titres de compétence en double, d’une province à l’autre.

Au bureau de la ministre Freeland, on estime que les provinces auront intérêt à assouplir leurs règles en raison de la pénurie de main-d’œuvre.

Le gouvernement accorde également la priorité aux immigrants qui ont de l’expérience dans des métiers de la construction comme la menuiserie, l’électricité, la soudure, la plomberie et à titre d’entrepreneurs généraux. Il note que 1500 ont été invités à s’installer au pays depuis mai.

Le logement est la grande priorité de cette mise à jour économique à un point tel que le gouvernement y annonce son intention de changer le nom du ministère de l’Infrastructure pour le ministère du Logement, de l’Infrastructure et des Communautés.

« Pendant des générations, le Canada a été un pays où, en travaillant fort, en étudiant, en se trouvant un bon emploi et en mettant de l’argent de côté, on pouvait s’offrir une maison », a déclaré la ministre Freeland dans son discours à la Chambre des communes. Une promesse « qui est menacée » et qui « exige un effort considérable à l’échelle nationale ».

Plusieurs des mesures proposées avaient déjà fait l’objet de fuites dans les médias au cours des derniers jours. Les 15 milliards supplémentaires de prêts pour la construction d’appartements à louer à compter de 2025-2026 portent ce financement à plus de 40 milliards. Là aussi, il entend utiliser son pouvoir de dépenser pour exiger que les provinces, les territoires et les municipalités « fassent leur juste part » pour accroître l’offre de logement.

Le gouvernement alloue également 1 milliard sur trois ans au Fonds pour le logement abordable. Il estime que ce montant permettra de construire 7 000 nouvelles unités. Il compte aussi stimuler la création de nouvelles coopératives d’habitation en injectant 309 millions de plus pour le programme de développement qui doit être lancé par la Société canadienne d’hypothèques et de logement en 2024.

« Notre gouvernement comprend vraiment que le logement est une préoccupation urgente pour les Canadiens. Et le logement est lié au coût de la vie. C’est pourquoi nous mettons l’accent sur la demande, la demande et la demande », a précisé Mme Freeland en conférence de presse.

La Banque de l’infrastructure du Canada, qui fonctionne en partenariat public-privé, sera également appelée à participer à la construction de routes, de conduites d’eau, de lignes électriques, d’usine de traitement des eaux usées, de voies pour le transport en commun et de câblage pour la connexion internet nécessaire pour ces nouveaux immeubles.

Le gouvernement sévira également contre la location temporaire d’appartements sur des plateformes comme Airbnb et VRBO, non seulement en refusant les déductions fiscales dans les provinces et les municipalités qui interdisent ce type de location dès le 1er janvier. Une somme de 50 millions sur trois ans servira à aider les municipalités à appliquer leur réglementation.

Le gouvernement tentera également de mieux protéger les propriétaires inquiets de perdre leur maison au renouvellement de leurs hypothèques en soumettant les institutions financières à une charte hypothécaire.

Sans surprise, le gouvernement fait la sourde oreille aux demandes des conservateurs qui voulaient étendre l’exemption temporaire de la taxe sur le carbone sur le mazout à tous les autres types de chauffage. Le premier ministre Justin Trudeau avait déjà indiqué qu’il n’y en aurait pas d’autres.

Il s’en tient à la bonification du supplément pour les communautés rurales, qui passera de 10 % à 20 % dès avril 2024. Ce supplément est versé aux contribuables dans les provinces soumises à la taxe fédérale sur le carbone, ce qui n’est pas le cas du Québec qui son propre système de plafonnement et d’échange des gaz à effet de serre.

Le programme pour inciter les gens qui se chauffent au mazout à se doter d’une thermopompe, moins polluante, coûtera 500 millions jusqu’en 2026-2027.

Réaction des partis d’opposition

« On entend encore des promesses avec des milliards de dollars pour le logement, les mêmes promesses qu’on a vues depuis huit ans. Huit ans [que le gouvernement] promet des dépenses, mais ça sert simplement à augmenter la bureaucratie et non pas le logement. »

Pierre Poilievre, chef du Parti conservateur

« Il n’y a aucune mesure avec un effet à court terme pour faire face à différents enjeux qui avaient clairement été soulevés. […] La crise du logement, c’est non seulement maintenant, mais elle est commencée depuis un certain temps. »

Yves-François Blanchet, chef du Bloc québécois

« Les propositions du gouvernement libéral sont des propositions pour l’avenir, pour quelques années, pas maintenant. Donc, ce ne sont pas les actions nécessaires pour répondre à l’urgence de la crise actuelle. »

Jagmeet Singh, chef du Nouveau Parti démocratique

Coût de la vie

La mise à jour économique propose une série de mesures afin d’éliminer des irritants pour les consommateurs, mais elle ne contient aucune nouvelle mesure pour faire diminuer le prix de l’épicerie. Le gouvernement entend donner davantage de dents au Bureau de la concurrence pour sévir contre « les prix abusifs » par l’entremise du projet de loi C-56. Voici un aperçu des autres mesures :

Droit à la réparation : les fabricants ne pourront plus refuser de fournir le nécessaire pour réparer des appareils. Le gouvernement entend modifier la Loi sur la concurrence en ce sens.

Frais indésirables : les compagnies aériennes ne pourront plus facturer des frais pour placer les enfants de moins de 14 ans à côté de l’adulte qui les accompagne. Une modification sera apportée au Règlement sur la protection des passagers aériens.

Élimination de la TPS sur la psychothérapie : le gouvernement élimine la taxe de vente sur les produits et services pour les psychothérapies et le counselling. Une mesure qui coûtera 50 millions sur cinq ans, selon les estimations du ministère des Finances.

Aide aux médias

Le Bloc québécois demandait un fonds d’urgence de 50 millions pour mettre un frein à la saignée dans les salles de nouvelles, mais le gouvernement a plutôt choisi de doubler le crédit d’impôt pour la main-d’œuvre journalistique dont bénéficie uniquement la presse écrite. Il passera de 25 % à 35 % pour les quatre prochaines années et le salaire admissible de 55 000 $ à 85 000 $, ce qui équivaut à un maximum de 29 750 $ par employé. Le coût de cette mesure est estimé à 129 millions sur cinq ans dès 2024-2025. Les télévisions et les radios n’y ont pas accès malgré leurs difficultés. TVA a annoncé il y a quelques semaines qu’il licenciait près du tiers de ses employés, particulièrement dans ses salles de nouvelles régionales. Les Coops de l’information procèdent également à des coupes. Le secteur des médias est durement éprouvé par les pertes de revenus publicitaires qui sont siphonnés par les géants du Web. Ce phénomène touche tous les médias d’un bout à l’autre du pays. Des pertes d’emploi avaient également été déplorées chez Bell Media au printemps dernier.

Pas de répit pour les PME

Malgré la pression, les modalités pour le remboursement du Compte d’urgence pour les entreprises canadiennes ne changent pas. Ces prêts sans intérêts accordés durant la pandémie de COVID-19 totalisent 49 milliards. Les petites entreprises avaient droit à un maximum de 60 000 $. La Fédération des chambres de commerce du Québec aurait souhaité que le gouvernement repousse la date limite de remboursement en janvier 2025 pour obtenir une radiation partielle de 20 000 $. L’échéance demeure fixée au 18 janvier 2024.

15 semaines pour les parents adoptifs

Une nouvelle prestation d’assurance-emploi sera disponible pour les parents qui adoptent un enfant. Ils auront droit à 15 semaines pour leur permettre de compléter le processus d’adoption, de se préparer à accueillir leur enfant chez eux et de nouer des liens avec lui. Le gouvernement estime que 1700 familles pourront en bénéficier annuellement. Le coût de cette mesure est estimé à 48,1 millions jusqu’en 2028-2029 et 12,6 millions par année subséquemment.