(Québec) Au lendemain du rejet de sa nouvelle offre salariale, le premier ministre François Legault se dit prêt à ouvrir davantage ses goussets en échange de « pouvoirs » de gestion supplémentaires. Ce serait un retour au « favoritisme » dans les milieux de travail, réplique le Front commun dont les 420 000 membres sont en grève ce vendredi jusqu’au 14 décembre.

« Il veut dans le fond gérer tout seul, et ça, c’est dangereux », a soutenu la présidente de la Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec (FTQ), Magali Picard, lors d’une conférence de presse jeudi en compagnie des autres leaders syndicaux du Front commun (qui regroupe la CSN, la FTQ, la CSQ et l’APTS).

La « flexibilité » que le premier ministre réclame, « c’est arracher des pages [des] conventions collectives et aller chercher plus de droits de gérance ».

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, LA PRESSE

Le premier vice-président de la CSN, François Enault

Regardez comment ça fonctionne présentement, si [le gouvernement a] plus de pouvoirs, ça va aller encore plus mal.

François Enault, vice-président de la CSN

Le Front commun reconnaît néanmoins que « le statu quo n’est pas possible ». Mais le gouvernement ignore depuis deux semaines les propositions syndicales « pour essayer de trouver des solutions au problème de flexibilité dont [il] parle », a ajouté le vice-président de la Confédération des syndicats nationaux (CSN), François Enault. Il n’a pas voulu préciser quelles sont ces propositions.

Le Front commun déplore également que les négociations à certaines tables sectorielles, où l’on discute des conditions de travail, avancent peu.

La « rigidité » des conventions dénoncée par Legault

Pour François Legault, les demandes patronales pour mettre fin à la « rigidité » des conventions collectives sont incontournables. Il en va selon lui de « l’avenir des réseaux de la santé et de l’éducation ».

Le manque d’amélioration des services dans ces deux secteurs est d’ailleurs le principal motif d’insatisfaction de l’électorat envers le gouvernement Legault, selon un sondage Léger.

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, LA PRESSE

Le premier ministre François Legault

On est très ouverts sur le monétaire. Je m’attends à ce qu’on s’entende sur les augmentations de salaire.

François Legault, premier ministre du Québec

« Là où c’est difficile, c’est qu’il y a beaucoup de résistance du côté des syndicats pour nous donner les pouvoirs normaux de gestionnaires qu’on doit avoir dans une organisation qui est efficace », a soutenu François Legault lors d’une mêlée de presse jeudi, avant la période des questions au Salon bleu et environ une heure avant la sortie du Front commun.

Mercredi, le gouvernement a déposé une nouvelle offre salariale aux 600 000 employés de l’État. Le Front commun et les autres syndicats l’ont rejetée aussitôt, jugeant insuffisantes les hausses salariales de 12,7 % en cinq ans. « Ce serait un drame si on acceptait cette offre », a lancé Magali Picard, rappelant les difficultés actuelles pour attirer et retenir la main-d’œuvre.

Les chefs syndicaux refusent de dire les compromis qu’ils sont prêts à faire au sujet de leur demande salariale d’environ 23 % en trois ans. Ils sont prêts à accepter des contrats de travail d’une plus longue durée, quatre ou cinq ans.

Moins de 24 heures après le dépôt de sa nouvelle offre salariale, le premier ministre se dit prêt à la bonifier. « C’est tellement important pour moi d’améliorer les services en santé et en éducation qu’on est ouverts à d’autres compromis » sur les salaires, a dit François Legault. Du reste, la nouvelle offre salariale n’a pas été qualifiée de finale par Québec.

« Depuis des dizaines d’années, on n’arrive pas à améliorer les services en éducation et en santé beaucoup à cause de la rigidité des conventions collectives », a-t-il affirmé. Il a soutenu qu’un syndicat peut bloquer une entente sur un horaire de travail convenue entre un gestionnaire et un employé.

Ce n’est pas normal que notre réseau soit géré par des syndicats plutôt que par des gestionnaires.

François Legault, premier ministre du Québec

« C’est ça qui est au cœur des négociations. Ça va prendre du courage parce qu’effectivement, les syndicats n’ont jamais cédé depuis des dizaines d’années ces pouvoirs-là », a ajouté le premier ministre.

Selon lui, si les syndicats acceptent la demande, les gestionnaires obtiendront de nouveaux pouvoirs, mais ils deviendront en contrepartie « imputables sur les résultats » avec les réformes des ministres Christian Dubé et Bernard Drainville.

« Si on obtient ça, et moi, je suis déterminé à obtenir les deux, on va être capables d’améliorer enfin les services en santé et en éducation », a-t-il affirmé. Le recours au bâillon plane pour faire adopter la réforme Dubé, le projet de loi 15. Le texte législatif du ministre Bernard Drainville, le projet de loi 23, a été adopté jeudi.

Un retour en arrière, dénoncent les syndicats

Selon le Front commun, la demande de François Legault ferait en sorte que le Québec retournerait à l’époque où les gestionnaires décidaient de façon arbitraire qui aurait les meilleurs horaires.

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, LA PRESSE

La présidente de la Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec (FTQ), Magali Picard

À partir du moment où on enlève toute responsabilité aux exécutifs syndicaux de s’assurer que les décisions qui sont prises sont équitables, respectables, justifiées, on tombe dans des vieux patterns d’il y a 40 ou 50 ans, et on ne veut absolument pas ça.

Magali Picard, présidente de la FTQ

Lors de la présentation de sa mise à jour économique, le ministre des Finances, Eric Girard, disait que le gouvernement n’a pas de marge de manœuvre et que « toute dépense supplémentaire va nécessiter des emprunts ». Or, François Legault a indiqué que la nouvelle offre globale, qui représente une dépense supplémentaire de 1 milliard de dollars par année à terme par rapport à la proposition précédente, s’inscrit « à l’intérieur du cadre financier » du gouvernement. Une autre offre plus généreuse augmentera encore davantage les dépenses de l’État.

La Fédération autonome de l’enseignement (FAE) poursuit sa grève générale illimitée en cours depuis le 23 novembre. La Fédération interprofessionnelle de la santé (FIQ) va débrayer du 11 au 14 décembre. Le Syndicat de professionnelles et professionnels du gouvernement du Québec (SPGQ), dont des membres travaillent dans 10 cégeps, fera la grève du 13 au 15 décembre.

Si la grève du front commun a lieu comme prévu jusqu’au 14 décembre et qu’il n’y a pas une entente, « ce sera la plus longue grève au Québec dans le secteur public que l’on aura connue depuis 50 ans », a souligné Dalia Gesualdi-Fecteau, professeure à l’École de relations industrielles de l’Université de Montréal, dans un webinaire organisé par le Centre de recherche interuniversitaire sur la mondialisation et le travail (CRIMT) jeudi.

Le défi de la « piste d’atterrissage »

La grogne, l’exaspération et les attentes des grévistes sont telles que même si les parties arrivent à des ententes de principe, leur adoption n’est pas garantie, estime Mélanie Laroche, professeure à l’École de relations industrielles de l’Université de Montréal. « Même s’il y avait des ententes de principes la semaine prochaine, il [faudrait] vraiment se poser la question [à savoir] si ces ententes-là vont être acceptées par les membres », a fait valoir Mme Laroche durant un webinaire du Centre de recherche interuniversitaire sur la mondialisation et le travail (CRIMT) jeudi.

La « grogne » et le « facteur d’exaspération » des travailleurs de la santé et de l’enseignement ont été sous-estimés, juge la chercheuse. « Les attentes des membres sont hyper élevées, donc comment on va gérer ces attentes, et comment on va gérer la piste d’atterrissage de cette négociation collective ? » Si les résultats négociés ne sont pas satisfaisants, « ça pourrait être le chaos aussi, ça pourrait mener à des rejets d’ententes de principes ». Cette pression est ressentie par le gouvernement, mais aussi par les organisations syndicales, analyse la chercheuse. « Ça va être un beau casse-tête aussi dans les organisations syndicales parce qu’il va y avoir des compromis qui devront être faits, nécessairement. »

Ariane Krol, La Presse