(Ottawa) La ministre du Patrimoine canadien, Pascale St-Onge, estime que le voyage en Australie de la présidente-directrice générale de CBC/Radio-Canada tombe à un bien mauvais moment. La Presse révélait mardi que Catherine Tait participe à une conférence sur la radiodiffusion publique à l’invitation de l’Australian Broadcasting Corporation (ABC).

« C’est sûr qu’il y a eu une annonce qui a été très difficile pour les employés à l’interne la semaine dernière, a rappelé la ministre St-Onge en mêlée de presse mardi. Il y a beaucoup d’incertitude pour les gens. Ça prend une direction qui est présente, ça prend un leadership qui est fort en ce moment au sein de CBC/Radio-Canada pour gérer tout ça à l’interne. »

« En même temps, c’est clair que Mme Tait a un rôle important à jouer auprès des diffuseurs publics internationaux, a-t-elle nuancé. C’est elle la présidente de ces rencontres-là, et présentement, tous les diffuseurs publics à travers la planète traversent la même crise que l’on vit ici. Donc, de discuter des solutions et de l’avenir, c’est important, c’est positif, mais c’est sûr que le moment n’est pas opportun. »

PHOTO ADRIAN WYLD, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Pascale St-Onge

Elle n’a pas voulu dire si elle avait toujours confiance en Mme Tait. « Je dis que nous devons présentement nous concentrer à trouver la bonne personne pour diriger le diffuseur public à la fin de son mandat », a-t-elle répondu.

Celui-ci se termine au début de 2025. La ministre compte mettre sur pied un comité au début de l’année 2024 pour trouver des candidats prêts à relever le défi.

Son prédécesseur Pablo Rodriguez, qui avait prolongé le mandat de Mme Tait, a lui aussi évité de répondre directement à la question mardi. « C’est celle qui gère Radio-Canada », s’est-il contenté de dire.

L’attribution, en partie, des prochaines compressions aux économies de 3 % que le gouvernement fédéral exige des ministères, la confusion sur les primes versées aux cadres du diffuseur public et ce voyage en Australie en pleine période de crise déplaisent en coulisse.

CBC/Radio-Canada est une société d’État indépendante, donc le gouvernement évite de s’ingérer dans ses décisions administratives. Sa PDG doit toutefois rendre des comptes. Elle devra d’ailleurs s’expliquer devant le comité permanent du patrimoine canadien en janvier sur les compressions à venir et les primes versées à ses cadres. Une motion du Bloc québécois pour la faire témoigner a été adoptée à l’unanimité la semaine dernière.

Les réactions des partis d’opposition étaient également unanimes mardi. « Quand il y a des gens qui demandent votre démission, ce n’est peut-être pas le bon moment de partir en voyage à l’étranger », a souligné le député du Bloc québécois, Martin Champoux, lors de la période des questions. « On en conviendra, c’est un manque de jugement. »

« Ce n’est pas un bon moment quand vous êtes en train de congédier des centaines de personnes à mon avis », a commenté à son tour le porte-parole néo-démocrate en matière de patrimoine canadien, Peter Julian.

« La présidente de CBC est complètement déconnectée », a dénoncé pour sa part le lieutenant politique pour le Québec du Parti conservateur, Pierre Paul-Hus, qui à l’instar de son collègue bloquiste a demandé à la ministre St-Onge si elle avait toujours confiance en Mme Tait.

La ministre St-Onge n’a pas manqué de lui rappeler les compressions effectuées par le gouvernement de Stephen Harper dans le budget de CBC/Radio-Canada et le milliard de coupes promises par l’actuel chef conservateur Pierre Poilievre.

« Encore aujourd’hui, il veut détruire CBC en disant qu’il va protéger Radio‑Canada, comme si c’était faisable », a-t-elle rétorqué, accusant au passage les conservateurs de « vouloir miner la démocratie canadienne ».

Reste que l’absence de Mme Tait passe mal chez les employés qui attendent de savoir s’ils perdront leur emploi dans quelques mois. « J’étais dans la Maison de Radio-Canada et les gens sont stupéfaits qu’elle soit partie ainsi », a indiqué en entrevue le président du Syndicat des travailleuses et travailleurs de Radio-Canada, Pierre Tousignant. « Il y a le feu dans la boîte et la capitaine n’y est pas. »

« Je suis à Radio-Canada depuis 1998 et je n’ai jamais vu autant de gens inquiets parmi mes collègues de travail », a-t-il constaté à regret.

CBC/Radio-Canada a annoncé la semaine dernière la suppression de 800 emplois partout au pays, soit environ 10 % de son effectif. Lors d’une entrevue à l’émission The National, elle n’avait pas écarté la possibilité que des primes soient versées aux cadres. Quatre jours plus tard, la haute direction du diffuseur public avait émis une déclaration pour préciser que « toutes les mesures possibles, y compris celles touchant à la rémunération de la haute direction, sont examinées afin de composer avec les pressions financières qui nous attendent dans les mois à venir. »

« Tout le monde à CBC/Radio-Canada doit considérer la situation financière et l’impact qu’elle a sur l’ensemble des employés, a commenté la ministre St-Onge. Maintenant, ils vont prendre en compte la situation actuelle et réviseront leurs politiques, et je vais les laisser répondre à ces questions. »

Le séjour de Mme Tait en Australie se déroule du 9 au 16 décembre, mais était prévu depuis le mois de septembre. Les frais de transport et d’hébergement sont couverts par l’ABC tandis qu’elle assumera elle-même la portion tourisme. La PDG de CBC/Radio-Canada a été invitée en tant que présidente du Groupe de travail mondial pour les médias publics établi en 2020. Elle doit participer à une conversation jeudi soir avec son homologue d’ABC, David Anderson, qui sera animée par le vice-chancelier de l’Université de Sydney dans le cadre d’un évènement intitulé « The Vital Role of Public Broadcasting in a Modern Democracy ».

Le diffuseur public australien a confirmé ces informations sans toutefois indiquer combien il avait payé pour le voyage de Mme Tait. Son porte-parole, Nick Leys, a précisé qu’il s’agit d’un évènement interne, qu’aucun média n’était invité et qu’il n’était pas possible de le visionner en ligne.