(Ottawa) CBC/Radio-Canada obtiendra 7 millions de l’argent que Google versera aux médias tandis que la part des radiodiffuseurs privés s’élèvera à 30 millions. Les médias écrits obtiendront le reste de l’enveloppe, soit près des deux tiers. L’argent sera distribué par l’entremise de Médias d’Info Canada qui représente des centaines de médias imprimés et numériques au pays.

Le diffuseur public s’est dit ravi que le règlement publié par le gouvernement fédéral vendredi lui accorde une indemnisation, même si elle ne constitue que 7 % du montant total.

« Nous savons qu’une loi ou qu’une réglementation ne suffira pas à résoudre tous les enjeux auxquels fait face le secteur de l’information au Canada, mais c’est un pas dans la bonne direction », a réagi le diffuseur public dans une courte déclaration publiée sur son site internet.

Le ministre de la Culture et des Communications du Québec, Mathieu Lacombe, avait demandé à Ottawa d’exclure CBC/Radio-Canada des redevances de Google au lendemain de la conclusion d’une entente entre le géant du web et le gouvernement fédéral à la fin du mois de novembre. Il n’a pas réagi vendredi. Sa demande avait été reprise par le Bloc québécois.

Le diffuseur public emploie un tiers des journalistes au pays et aurait donc pu se retrouver avec une large portion de l’enveloppe.

« 7 %, c’est 7 millions de dollars, qui est une goutte d’eau dans le financement de Radio-Canada, mais c’est un 7 millions de dollars qui aurait pu faire une énorme différence pour des petits médias régionaux », a commenté le député bloquiste, Martin Champoux.

« C’est quand même un montant qui important, a fait valoir en entrevue le directeur général d’Hebdos Québec, Sylvain Poisson, qui représente 115 journaux hebdomadaires. On s’attendait à ce que la Société Radio-Canada décline. »

« Il est regrettable de constater que les radiodiffuseurs privés sont désavantagés et que CBC/Radio-Canada, malgré un financement public de plus d’un milliard de dollars, n’a pas été exclue de l’enveloppe financière, comme le réclamaient plusieurs joueurs de l’industrie et le gouvernement du Québec », a réagi le président et chef de la direction de Québecor, Pierre Karl Péladeau.

La ministre du Patrimoine canadien, Pascale St-Onge, a fait valoir que d’exclure complètement le diffuseur public aurait dévalorisé « son rôle essentiel ».

PHOTO ADRIAN WYLD, LA PRESSE CANADIENNE

Pascale St-Onge

Par contre, on a fixé à 7 % parce qu’on tient compte quand même de la réalité du marché, du fait que, oui, le secteur privé a beaucoup de difficultés. Mais on l’a vu, CBC/Radio-Canada aussi fait face à la baisse de revenus publicitaires, puis à la crise des médias.

Pascale-St-Onge

Elle a ajouté que ces 7 millions pourront « donner un coup de main pour payer des journalistes, notamment dans des régions éloignées, là où il y a des déserts médiatiques. »

Le gouvernement a tenu compte du fait que CBC/Radio-Canada reçoit déjà du financement public. Il a également utilisé un critère de dépendance des médias écrits par rapport aux plateformes numériques, le nombre de journalistes employés et la relation des entreprises de presse avec les plateformes numériques. Par exemple, l’usage de moteurs de recherche par les radiodiffuseurs pour faire découvrir leurs contenus.

Reste que la déception est vive pour les stations de radio et de télévision privées. L’Association canadienne des radiodiffuseurs (ARC) estime que les 30 millions qui leur sont alloués sont insuffisants alors que ces stations constituent « la source de nouvelles la plus consultée » au pays.

« Il faut prendre des mesures plus urgentes pour soutenir les nouvelles radiodiffusées, si l’on souhaite avoir un écosystème de journalisme en bonne santé », a fait valoir le président de l’ACR, Kevin Desjardins, par communiqué.

63 millions pour la presse écrite

Les médias écrits à l’échelle du pays recevront 63 millions de l’enveloppe, soit environ 17 000 $ par journaliste employé à temps plein, selon les estimations du ministère du Patrimoine canadien. Les fonctionnaires n’ont pas été en mesure de fournir une estimation similaire pour les radiodiffuseurs ou pour CBC/Radio-Canada lors d’une séance d’information technique vendredi puisqu’ils ont fait leur calcul à partir des demandes pour le crédit d’impôt pour la main-d’œuvre en journalisme canadien disponible seulement pour la presse écrite.

Les ententes que les médias pourront conclure avec les géants du web « n’auraient jamais été possibles sans cette loi » et « rétablira un équilibre que l’ensemble de l’industrie attend depuis longtemps », a réagi le président de La Presse, Pierre-Elliott Levasseur.

« Nous croyons par ailleurs que la réglementation qui encadre la loi est cohérente, offre aux médias écrits une juste part et permettra à la loi d’avoir l’impact escompté. Alors que Google a fait preuve de bonne foi dans la démarche, nous dénonçons à nouveau l’attitude socialement irresponsable de Meta », a-t-il ajouté.

« C’est une répartition qui témoigne d’une recherche d’équité et d’équilibre », a commenté à son tour le directeur du Devoir, Brian Myles. Un blocage des nouvelles de Google « aurait été catastrophique » pour l’industrie, selon lui si le gouvernement n’était pas parvenu à s’entendre avec le géant du web.

Il faudra voir comment on s’assure que les plus petits médias, qui ont deux à trois journalistes, sont bien traités et que les grands médias nationaux ne deviennent pas avantagés de manière disproportionnée.

Brian Myles, directeur du Devoir

Certaines questions demeurent, selon la Fédération professionnelle des journalistes du Québec (FPJQ), qui a appelé le gouvernement à clarifier ce qu’il entend par le fait qu’« une partie convenable » de l’indemnisation devra être utilisée « pour soutenir la production de contenu de nouvelles locales, régionales et nationales ».

La réglementation de la Loi sur les nouvelles en ligne (C-18) publiée vendredi confirme les modalités de cette entente et définit quelles plateformes devront conclure des accords d’indemnisation avec les médias, sans quoi elles devront participer à un processus de négociation obligatoire supervisé par le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC).

Google aura six mois pour conclure une entente avec un collectif de médias qui déterminera comment l’argent sera distribué, mais plusieurs sources ont indiqué s’attendre à ce que le chèque soit versé beaucoup plus rapidement.

Médias d’Info Canada a déjà eu des discussions avec CBC/Radio-Canada et l’ARC pour représenter l’industrie. L’association, qui est déjà financée par ses membres, ne croit pas avoir besoin d’utiliser une partie des 100 millions pour payer ses frais administratifs comme le règlement le permet, a confirmé son président-directeur général, Paul Deegan.

Le règlement reconnaît également la valeur non monétaire des liens affichés dans le moteur de recherche, en permettant à Google de fournir une valeur une indemnisation non financière aux entreprises de presse en plus des 100 millions.

Et Meta ?

La Fédération professionnelle des journalistes du Québec a rappelé que « Meta et Google accaparent environ 80 % des revenus publicitaires numériques au Canada, ne laissant que des miettes pour les médias d’ici ».

Pour l’instant, Google est le seul géant du web à qui la loi s’applique puisque Meta a bloqué le contenu de nouvelles sur ses plateformes Facebook et Instagram pour s’y soustraire. Le gouvernement n’a pas l’intention de lui accorder une exemption en échange de la publication du contenu de médias locaux, comme l’a suggéré la multinationale américaine en comité parlementaire mercredi.

« Le CRTC devra examiner si la plateforme tombe sous le coup de la loi parce que, oui, ils essaient de bannir les articles de nouvelles, mais nous savons que les Canadiens trouvent des moyens de les partager de toute façon, donc leur interdiction ne fonctionne pas vraiment », a affirmé la ministre St-Onge.

Elle compte également utiliser « tous les outils » pour persuader Meta de permettre à nouveau la distribution de contenu d’actualité. Les Québécois sont plus nombreux à consulter les médias d’information traditionnels depuis ce blocage des nouvelles, selon une récente étude de chercheurs de l’Université Laval. La ministre veut savoir si cette tendance est la même ailleurs au pays.

Si Meta en venait à revenir sur sa décision, la part de financement qu’elle verserait aux médias serait déterminée par le CRTC à partir de ses revenus publicitaires.

Pour être assujetties à la loi, les plateformes doivent générer des revenus mondiaux d’au moins 1 milliard annuellement et compter au moins 20 millions d’utilisateurs mensuels pour être visées par la loi. Leurs activités doivent également impliquer la distribution et l’accès à du contenu de nouvelles en ligne au Canada.

La législation pourrait éventuellement s’appliquer au moteur de recherche Bing de Microsoft lorsqu’il remplira ces critères.

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