(Ottawa) Justin Trudeau a-t-il induit le commissaire à l’éthique en erreur pour son dernier voyage en Jamaïque ? C’est ce que croient les conservateurs, qui ont convoqué un comité parlementaire d’urgence mercredi avec l’appui du Bloc québécois. Tous les élus, incluant les libéraux, ont voté pour faire témoigner le commissaire.

« Comme énormément de familles canadiennes, on est allés rester chez des amis pour les vacances de Noël [et] toutes les règles ont été suivies », a déclaré M. Trudeau aux journalistes mercredi matin, lors d’une conférence de presse au Nouveau-Brunswick.

Le cabinet du premier ministre a déclaré qu’il avait consulté le commissaire à l’éthique et que la famille rembourserait à l’État les frais de transport à bord d’un avion du gouvernement.

« On a l’impression que le PM prend les Canadiens pour des valises », a lâché le député conservateur Jacques Gourde. Le coût de ce voyage dérange, tout comme le manque de transparence de M. Trudeau.

« Le premier ministre a pris un cadeau de 84 000 $ sous forme de vacances de luxe en Jamaïque durant la période des Fêtes », a rappelé le député conservateur Michael Barrett, qui a également demandé au commissaire à l’éthique la semaine dernière d’ouvrir une enquête.

PHOTO JUSTIN TANG, LA PRESSE CANADIENNE

Michael Barrett

Les conservateurs accusent Justin Trudeau d’avoir changé sa version trois fois après que l’histoire eut été révélée par le National Post au début du mois de janvier. « D’abord, il a dit que c’était lui qui payait. Ensuite, qu’il restait chez quelqu’un et qu’il n’avait pas à payer, puis qu’il restait avec ces amis et qu’il n’avait pas à payer », a-t-il fait valoir.

Ils veulent savoir quelle version le premier ministre a fournie au commissaire à l’éthique Konrad Winrich von Finckenstein avant son voyage. Leur motion pour faire témoigner le commissaire au Comité permanent de l’accès à l’information, de la protection des renseignements personnels et de l’éthique a été adoptée à l’unanimité, mais leur tentative pour obtenir la correspondance entre le premier ministre et le commissaire au sujet de ce voyage en Jamaïque a été rejetée par les libéraux, le Bloc québécois et le Nouveau Parti démocratique (NPD), étant donné que ces échanges sont confidentiels.

« Nous voulons savoir si le commissaire a fait l’objet de la même tromperie », a expliqué M. Barrett.

Le député bloquiste René Villemure a souligné qu’un député qui demande au commissaire de lui expliquer les règles d’éthique va fournir des informations confidentielles sur une situation donnée avant de se faire une opinion. « Le confidentiel, c’est justement ce qui permet à la confiance d’exister et on doit avoir confiance dans le système en question », a-t-il fait valoir.

Sans cette confiance, les députés risquent « de ne pas demander les conseils qu’ils devraient rechercher », a ajouté le député néo-démocrate Daniel Blaikie. Le NPD réclame une révision de la législation.

« On ne parle pas de députés d’arrière-ban, mais du premier ministre du Canada, selon son comportement et son historique et le fait qu’il ait déjà contrevenu à la loi sur l’éthique », s’est défendu M. Barrett.

Les conservateurs estiment aussi qu’il était inopportun pour Justin Trudeau d’effectuer un voyage aussi coûteux alors que des gens aux prises avec l’inflation ont de la difficulté à joindre les deux bouts.

Le National Post a révélé que le premier ministre avait séjourné à la villa Frankfort appartenant à la famille de Peter Green, un homme d’affaires qui entretien des liens avec la famille Trudeau depuis les années 1970. Le bureau du premier ministre n’a ni confirmé ni démenti cette information.

« Il est né dans un milieu privilégié et il continue d’avoir un mode de vie privilégié », a souligné le conservateur Larry Brock.

Le porte-parole de M. Trudeau, Mohammad Hussain, a réitéré mercredi que « le premier ministre et sa famille ont séjourné sans frais chez des amis de la famille » et que « le Commissariat aux conflits d’intérêts et à l’éthique a été consulté avant le voyage pour s’assurer que les règles en vigueur étaient respectées ». Il a ajouté que M. Trudeau rembourse « l’équivalent d’un billet d’avion commercial pour ses déplacements personnels et ceux de sa famille », comme il le fait normalement.

Le Commissariat a confirmé qu’il avait été consulté. Son rôle n’est pas de donner son sceau d’approbation avant les vacances d’un élu, mais plutôt de « s’assurer que les dispositions sur les cadeaux prévues » dans la législation et dans le Code régissant les conflits d’intérêts des députés soient respectées, a précisé sa porte-parole, Melanie Rushworth.

Elle n’a pas pu indiquer si le commissaire avait ouvert une enquête en raison « des règles strictes en matière de confidentialité ». Dans une lettre datée du 12 janvier, le commissaire souligne que la loi ne prévoit pas de plafond sur la valeur des cadeaux offerts par l’ami d’un élu, qu’il n’a pas l’autorité d’en fixer et qu’il faudrait donc modifier la loi.

Les libéraux tentent d’élargir le débat

Les libéraux ont tenté de diluer l’initiative des conservateurs mercredi en insistant pour que M. von Finckenstein soit questionné sur les règles pour l’ensemble des voyages et non uniquement sur les dernières vacances de M. Trudeau en Jamaïque.

« J’espère que cette conversation aujourd’hui portera sur comment la Loi sur les conflits d’intérêts fonctionne pour tous les élus au pays, en espérant que nous pourrons évaluer comment nous pouvons nous assurer que cette législation contribue à la confiance des Canadiens envers la démocratie », a offert la députée Iqra Khalid avant la réunion.

PHOTO JUSTIN TANG, LA PRESSE CANADIENNE

Iqra Khalid (à gauche)

Elle a refusé de dire si elle était d’accord avec le voyage du premier ministre en Jamaïque.

La Loi sur les conflits d’intérêts permet aux politiciens d’accepter des cadeaux et d’autres avantages uniquement de la part de parents ou d’amis de la famille avec lesquels ils entretiennent des liens étroits bien documentés. M. Trudeau avait déjà enfreint cette règle lorsqu’il a été l’invité de l’Aga Khan pour les vacances familiales des Fêtes en 2016.

Ce n’est donc pas la première fois que Justin Trudeau fait la manchette avec ce genre d’escapade. En 2021, il s’est excusé d’avoir passé la toute première Journée de la vérité et de la réconciliation à surfer à Tofino, en Colombie-Britannique.

Avec Mélanie Marquis, La Presse, et La Presse Canadienne