(Québec) « Les déficits vont être plus importants », prévient le ministre des Finances, Eric Girard, qui prépare le report du retour à l’équilibre budgétaire. Le premier ministre François Legault assure qu’« il n’est pas question de faire de l’austérité » et ne regrette pas d’avoir baissé les impôts l’an dernier.

La stagnation de l’économie fait chuter les revenus de l’État, alors que les hausses salariales plus importantes que prévu consenties aux employés de l’État font grimper les dépenses, selon le portrait dressé par le grand argentier du gouvernement Legault.

« C’est mathématique : à ce stade-ci, les déficits vont être plus importants », a reconnu Eric Girard jeudi à Sherbrooke, en marge d’une réunion du caucus caquiste pour préparer la reprise des travaux de l’Assemblée nationale le 30 janvier.

Il refuse pour la première fois de réitérer son objectif de retour à l’équilibre budgétaire en 2027-2028. « Je vous donne l’heure juste : je vous ai dit que le fait que l’économie est en stagnation donne une pression sur les revenus, que les négociations dans le secteur public amènent une pression matérielle sur les dépenses, et c’est certain que ça va avoir un impact », a-t-il répondu. Le ministre laisse ainsi entendre que le retour au déficit zéro sera repoussé. « Tout sera divulgué au budget », a-t-il dit.

Un important changement au cadre financier s’est produit durant les Fêtes avec la conclusion d’une entente de principe avec le Front commun intersyndical. Québec a accepté de verser des hausses salariales de 17,4 % en cinq ans. Les salaires de 600 000 travailleurs bondiront de 8,8 % dès cette année – en tenant compte de la hausse de 6 % accordée pour 2023 et de celle de 2,8 % applicable au 1er avril.

« C’est certain que les montants qui ont été accordés sont plus importants que ce qui avait été provisionné à la mise à jour budgétaire » de novembre, a reconnu M. Girard. Il tablait alors sur des augmentations salariales de 10,3 % en cinq ans.

Le ministre n’a pas voulu chiffrer précisément l’impact sur les dépenses de l’État pour le moment, mais on sait que chaque point de pourcentage d’augmentation coûte 600 millions par année. L’écart entre la prévision et la réalité se chiffre donc en milliards de dollars récurrents par année. « Effectivement, ce sont des dépenses supplémentaires » qui ont un impact « très significatif », a soutenu M. Girard. « Nous étions déjà en situation de déficit, et en conséquence, ces dépenses supplémentaires vont amener une pression supplémentaire sur le cadre financier du gouvernement du Québec. »

Elles tombent en plus dans une « période difficile », a-t-il souligné. « L’économie est au ralenti, on est dans une période de stagnation, on a une pression au niveau des revenus. »

Fin décembre, c’est devenu officiel : le Québec est en récession technique – deux trimestres consécutifs de recul du produit intérieur brut. Eric Girard préfère parler de stagnation, dans la mesure où le recul est limité à 0,8 % lors du troisième trimestre de 2023.

Pour le quatrième trimestre, les nouvelles ne sont pas meilleures. Si le PIB réel a crû légèrement de 0,3 % ou 0,4 % en septembre et en octobre, selon M. Girard, il faut s’attendre à un portrait plus sombre encore pour le mois de décembre en raison des grèves. « On n’a pas une faiblesse qui est généralisée, mais on a une économie qui, lorsque l’on [fait la] somme [de] toutes les composantes, est arrêtée. Il n’y a pas de croissance », a dit le ministre.

À la mi-décembre, Eric Girard a revu une fois de plus ses prévisions à la baisse. À peine un mois et demi après sa mise à jour économique, le cadre financier du gouvernement pour l’année en cours s’est en effet détérioré de 635 millions de dollars en raison d’une baisse importante des revenus anticipés. Le ministre a compensé une bonne partie de cette révision en utilisant en totalité sa provision pour éventualités de 500 millions.

Résultat : Québec n’a plus de coussin pour les imprévus, et le déficit attendu a augmenté, pour passer à 4,1 milliards – après le versement au Fonds des générations, qui sert à réduire le poids de la dette. Et tout cela a été annoncé avant la conclusion de l’entente de principe sur les augmentations salariales des employés de l’État.

Selon le ministre, de premières baisses du taux directeur de la Banque du Canada « qui viendraient au printemps ou au début de l’été, ça va permettre la relance de l’économie dans la deuxième partie » de 2024.

Le portrait économique du Québec est plus sombre qu’en mars 2023, au moment où le gouvernement Legault annonçait des baisses d’impôt représentant 1,7 milliard de dollars par année. François Legault considère toujours que c’était une « bonne décision ». « Je pense que c’était nécessaire. On le sait, les impôts sont dans le plafond au Québec quand on se compare à nos voisins. […] En plus, on a des défis importants du côté du coût de la vie. Améliorer le revenu disponible, c’était important », a-t-il soutenu en conférence de presse.

Le premier ministre assume le choix fait lors des négociations du secteur public « d’investir massivement » en santé et en éducation. « Oui, c’est significatif. Ça va avoir un impact budgétaire », a-t-il affirmé.

Il a reconnu que l’objectif de retour à l’équilibre budgétaire en 2027-2028 était remis en question. « Il n’est pas question de couper des services, il n’est pas question de faire de l’austérité », a-t-il ajouté. Il a évoqué une réduction de la « bureaucratie » pour dégager des économies. Il ambitionne de « créer de la richesse » pour augmenter les revenus de l’État.

Par ailleurs, Eric Girard a confirmé qu’il prolonge jusqu’au 30 juin le délai pour recevoir le montant ponctuel pour le coût de la vie de 400 $ à 600 $ qu’il avait annoncé à la fin de 2022. Pour obtenir ce chèque, il fallait produire sa déclaration de revenus de l’année 2021 au plus tard le 30 juin 2023. Quelque 65 000 personnes admissibles à l’aide financière ne l’ont pas fait. Il leur accorde un délai supplémentaire.

L’opposition réagit

Le gouvernement est un acteur premier qui favorise la croissance économique. […] De voir ce matin le ministre des Finances constater cet échec-là, c’est consternant. Au moins, il a une certaine part de lucidité.

Marc Tanguay, chef intérimaire du Parti libéral du Québec