(Ottawa) Il y a treize ans, en proie à une défaite politique majeure et à une crise personnelle, Mark Holland a vécu la période la plus sombre de sa vie.

Depuis son retour en politique fédérale, il a parlé franchement de sa tentative de suicide et des problèmes de santé mentale qui l’ont mené « aux portes de (son) propre oubli ».

Aujourd’hui, en tant que ministre fédéral de la Santé, il demande au Parlement de ralentir le projet de son gouvernement visant à élargir l’accès à l’aide médicale à mourir pour les personnes dont la seule maladie sous-jacente est la maladie mentale.

M. Holland affirme que l’épreuve à laquelle il a survécu est différente de la souffrance des personnes qui, selon lui, seraient admissibles au programme.

Il faut plus de temps pour que les systèmes médicaux et le public soient prêts à faire la différence, a-t-il déclaré à La Presse Canadienne.

« Je veux m’assurer, avec chaque centimètre de moi, que tout le monde bénéficie du même chemin pour sortir de l’obscurité que j’ai pu trouver », a souligné M. Holland, en entrevue à propos de sa propre expérience en matière de santé mentale.

« Là où nous avons des conversations vraiment difficiles, c’est : que faisons-nous lorsqu’il y a des circonstances que nous ne pouvons pas comprendre ? Lorsque les gens souffrent d’une douleur cauchemardesque ? »

En vertu de la loi en vigueur, les personnes souffrant d’angoisse seront admissibles à l’aide médicale à mourir à partir de la mi-mars.

Une pause pour réfléchir et se préparer

La semaine dernière, le ministre Holland a déposé un projet de loi retardant de trois ans l’élargissement de l’admissibilité.

Les provinces lui ont dit qu’elles n’étaient pas prêtes ou qu’elles n’étaient pas disposées à aller de l’avant, a-t-il déclaré, et le report de cette décision vise à donner plus de temps pour se préparer.

La pause donnerait également aux Canadiens plus de marge de manœuvre pour faire face à leur malaise vis-à-vis cette politique, a-t-il indiqué.

« Parce que c’est inconfortable, il est facile de prétendre qu’il existe des solutions simples et de ne pas s’y plonger, a-t-il expliqué. Je pense qu’une partie de l’idée de cette pause est de permettre une conversation plus profonde. »

Mark Holland était un homme politique de carrière jusqu’à ce qu’il perde son siège aux élections fédérales de 2011. Après cette défaite, il dit être tombé dans le désespoir.

« Il y a un sentiment de désespoir total, d’isolement et d’abandon et le sentiment que […] il n’y a aucun moyen de sortir de la douleur dans laquelle vous vous trouvez », a-t-il décrit.

Pour ceux qui ont « tout essayé »

Ce qui différencie son expérience de celle des personnes atteintes de maladie mentale qui pourraient éventuellement avoir accès à l’aide à mourir, c’est qu’il a demandé de l’aide et que cela a fonctionné, a-t-il précisé.

« Lorsque vous êtes dans cette situation et que vous allez demander de l’aide, la grande, grande majorité des gens, avec le soutien clinique, le soutien et l’amour de leurs amis et de leur famille, pourront se sortir de cette situation et voir que c’était un moment dans le temps. »

De nombreuses personnes souffrant de problèmes de santé mentale ont du mal à obtenir de l’aide, a reconnu le ministre.

Mais l’assistance médicale à la mort est destinée aux personnes qui ont « tout essayé » et qui sont « incapables d’échapper à leur enfer mental », a-t-il affirmé.

« C’est une grande différence. »

Les Canadiens mitigés sur la question

L’opinion du public à l’égard de cette politique est difficile à évaluer.

En septembre, un sondage d’Angus Reid commandé par Cardus a révélé que même si les politiques existantes d’aide à mourir bénéficiaient d’un large soutien partout au Canada, la moitié des répondants interrogés étaient opposés à l’élargissement de l’admissibilité aux personnes qui souffrent uniquement de maladie mentale.

Entre-temps, un sondage Ipsos réalisé pour le compte de Mourir dans la dignité Canada l’été dernier suggérait que 80 % des personnes interrogées pensaient qu’un adulte devrait pouvoir être évalué et, s’il y est admissible, recevoir de l’aide médicale à mourir pour des troubles mentaux graves et résistants au traitement.

Alors que certaines personnes confondent pensées suicidaires et souffrances indomptables à long terme par souci de bonne foi, le ministre Holland croit que certaines craintes sont parfois exprimées pour « faire de la politique ».

Si le Parlement accorde la prolongation, il appartiendra principalement aux provinces de préparer le personnel à séparer les personnes en crise des très rares personnes qui devraient y avoir accès, selon le ministre.

« Mon travail, lorsque je discute quotidiennement avec mes homologues provinciaux et territoriaux, consiste à m’assurer qu’ils travaillent dans ce sens et à leur demander comment nous pouvons les soutenir dans cette démarche », a-t-il soutenu.

Cette pause retarderait l’élargissement bien après les prochaines élections. Les opposants conservateurs des libéraux ont déclaré qu’ils abandonneraient l’élargissement s’ils étaient élus.