(Ottawa) Le froid diplomatique entre la Chine et le Canada est palpable jusqu’à l’ambassade du Canada à Pékin. Et selon un expert, cette marginalisation diplomatique risque de durer pendant quelque temps en raison du début des travaux de la Commission sur l’ingérence étrangère, qui examine notamment les activités d’ingérence de la Chine durant les élections fédérales de 2019 et de 2021.

Depuis sa nomination par le premier ministre Justin Trudeau, en septembre 2022, l’ambassadrice du Canada, Jennifer May, peine à obtenir des rencontres avec de hauts dirigeants du gouvernement chinois à Pékin, révèlent des documents obtenus par La Presse en vertu de la Loi sur l’accès à l’information.

Du côté canadien, l’exaspération est telle que le sous-ministre des Affaires étrangères, David Morrison, a soulevé cette affaire durant une rencontre avec l’ambassadeur de Chine à Ottawa, Con Peiwu, à la fin de juin 2023, selon ces documents.

PHOTO JUSTIN TANG, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Jennifer May

« Nous continuons d’avoir des inquiétudes au sujet du manque d’accès continu de l’ambassadrice May en Chine », peut-on lire dans une note d’information préparée à l’intention du sous-ministre en prévision de sa rencontre avec le diplomate chinois.

Durant cette rencontre, le sous-ministre devait aborder le dossier de l’ingérence étrangère.

« Pour les Chinois, c’est leur façon d’exprimer leur déplaisir à l’endroit du Canada », a affirmé Guy Saint-Jacques, ancien ambassadeur du Canada à Pékin, notant aussi que les diplomates australiens avaient goûté à la même médecine il y a quelques années après que le gouvernement de l’Australie eut réclamé une enquête formelle sur les origines de la COVID-19.

C’est la politique où la Chine se sent toute-puissante et elle s’attend à ce que ce soient les autres qui fassent les concessions et qui fassent la courbette.

Guy Saint-Jacques, ancien ambassadeur du Canada à Pékin

En entrevue avec La Presse, M. Saint-Jacques a souligné que l’accès à des membres de haut rang du gouvernement chinois s’est graduellement détérioré aussi au fil des dernières années. Et pas seulement dans le cas du Canada. Essentiellement, il n’existe plus une forme de réciprocité entre la Chine et plusieurs pays en ce qui a trait à l’accès aux membres influents du gouvernement.

« Les Chinois, pour toutes sortes de raisons, ont rendu le système plus opaque en limitant les contacts à haut niveau. En plus, dans le cas de l’ambassadrice Jennifer May, qui est excellente et qui a toutes les compétences pour exercer son rôle, elle n’a pas d’accès et c’est la façon pour les Chinois d’exprimer leur mécontentement. C’est clair que cela rend son travail plus difficile. »

« Grave dérive » du Canada

La ministre des Affaires étrangères, Mélanie Joly, a tenté récemment de rétablir certains canaux de communications avec Pékin en sollicitant un entretien téléphonique avec son homologue chinois, Wang Yi. L’entretien a eu lieu le 12 janvier.

Au terme de l’entretien, la Chine a fait savoir qu’il était possible de rétablir de bonnes relations diplomatiques à condition que le Canada reconnaisse d’abord qu’il est responsable d’avoir provoqué une fracture diplomatique.

« La cause profonde du déclin qu’ont connu les relations sino-canadiennes au cours des dernières années réside dans la grave dérive de la partie canadienne dans sa perception de la Chine », a affirmé Pékin après l’échange entre les deux ministres.

Cet entretien a eu lieu quatre mois après que le premier ministre Justin Trudeau eut déclaré qu’un rapprochement avec la Chine serait impossible, en partie à cause des inquiétudes concernant l’ingérence étrangère.

S’appuyant sur des documents secrets du Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS), le quotidien The Globe and Mail a révélé en février 2023 que la Chine avait utilisé des moyens sophistiqués pour favoriser l’élection d’un gouvernement minoritaire libéral en 2021 et la défaite de candidats conservateurs jugés hostiles au régime communiste chinois.

Ces révélations et d’autres subséquentes ont forcé le gouvernement Trudeau à mettre sur pied la Commission d’enquête sur l’ingérence étrangère. Cette commission est présidée par la juge Marie-Josée Hogue.

« Profondément inconfortable »

Récemment, l’ambassadrice Jennifer May a affirmé dans une entrevue accordée à l’émission The House de la radio CBC que la Chine n’aimera pas l’enquête que mène la Commission. « Je pense que cet exercice va être quelque chose qui sera profondément inconfortable pour le gouvernement chinois », a-t-elle dit.

Au ministère des Affaires étrangères, on affirme que « le Canada reste déterminé à poursuivre une diplomatie pragmatique, y compris avec la République populaire de Chine ».

On soutient aussi que l’ambassadrice Jennifer May a rencontré « divers représentants du gouvernement de la République populaire de Chine, y compris de hauts fonctionnaires du ministère des Affaires étrangères », pour discuter d’un large éventail de questions bilatérales, sans plus de détails. Le Ministère n’a pas voulu indiquer si la diplomate avait pu rencontrer des membres influents du gouvernement chinois.

Avec William Leclerc, La Presse