Elle est comme un caillou dans la chaussure de Justin Trudeau. Le ministre fédéral Randy Boissonnault a déclaré la guerre à sa nouvelle politique sur l’identité de genre. La première ministre de l’Alberta, Danielle Smith, est en train de devenir la nouvelle tête forte de la fédération en s’inspirant des politiques autonomistes du Québec.

Qui est Danielle Smith ?

« Elle a toujours été une décentralisatrice, elle a toujours été une libertarienne et on a beaucoup de choses en commun », observe le chef du Parti conservateur du Québec, Éric Duhaime, qui a fait sa connaissance en 1992 alors qu’ils étaient tous deux stagiaires au siège social de l’Institut Fraser, à Vancouver. Ils sont demeurés en contact depuis, si bien qu’il l’a aidée à se préparer pour un débat des chefs 20 plus tard alors qu’elle était à la tête du parti Wildrose, en Alberta, qui poussait le Parti progressiste-conservateur encore plus vers la droite.

Elle a travaillé pour la Fédération canadienne de l’entreprise indépendante, comme chroniqueuse politique au Calgary Herald, a animé une émission hebdomadaire à la chaîne Global et a eu sa propre émission de radio.

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Danielle Smith

« C’est une femme que j’ai toujours trouvée très brillante, qui est très structurée et qui a toujours une cohérence idéologique, décrit le chef conservateur québécois. C’est une main de fer dans un gant de velours. Elle est déterminée dans ses actions. On le voit depuis son arrivée au pouvoir comme première ministre. » Quoi qu’on puisse penser de sa nouvelle politique sur l’identité de genre, elle n’est pas une conservatrice sociale, souligne Éric Duhaime.

« Sur le plan idéologique, c’est une libertarienne », affirme à son tour Frédéric Boily, professeur de science politique au campus Saint-Jean de l’Université de l’Alberta. « Le problème, c’est qu’elle est dans un parti où il n’y a pas juste des libertariens, mais aussi des conservateurs tant sociaux que religieux. »

Pourquoi l’Alberta s’inspire-t-elle du Québec ?

Autrefois critiqué pour les milliards reçus en péréquation, le Québec suscite aujourd’hui une certaine admiration dans la province productrice de pétrole. « Mes collègues albertains prennent souvent [le Québec] en exemple, raconte le lieutenant politique des conservateurs pour la province, Pierre Paul-Hus. Ils regardent la façon dont on procède et ils se disent : “En Alberta, on aimerait ça, avoir des pouvoirs comme le Québec.” » Danielle Smith songe à adopter le modèle québécois pour créer son propre régime de pensions et à avoir une loi similaire à celle du Québec pour empêcher Ottawa de conclure des ententes directement avec les municipalités. Au cabinet de la première ministre, on ne cache pas l’envie qu’a suscitée le chèque de 900 millions pour le logement annoncé conjointement par les premiers ministres Justin Trudeau et François Legault en novembre.

« Je dirais probablement 100 % inspirée par l’expérience du Québec », a-t-elle répondu, sourire en coin, à la question d’une journaliste lundi lors de l’ouverture du nouveau bureau de l’Alberta à Ottawa. Si le Québec a sa propre « ambassade » dans la capitale fédérale alors que le secteur de Hull est juste de l’autre côté de la rivière des Outaouais et qu’une large proportion des fonctionnaires fédéraux sont québécois, pourquoi l’Alberta n’en aurait-elle pas ? Le mot « ambassade » a bien fait rire de l’autre côté de la rivière.

Il n’en demeure pas moins que la méthode québécoise a suscité l’intérêt de son chef de cabinet. Le premier bureau du Québec à Ottawa a été ouvert en 1984 par le gouvernement de René Lévesque.

« Il faut dire qu’il y a une dimension autonomiste albertaine qui est beaucoup plus importante que par le passé, depuis que Danielle Smith est arrivée au pouvoir, constate Frédéric Boily. On regarde aussi de manière admirative le Québec pour la façon dont il réussit à obtenir des gains auprès d’Ottawa, ou c’est du moins comme ça qu’on voit les choses. » Il croit que la première ministre tente aussi de se démarquer de son prédécesseur, Jason Kenney, à qui on reprochait « d’être trop passif, d’envoyer des lettres ou de prendre juste le chemin des tribunaux ».

Danielle Smith a notamment fait adopter la Loi sur la souveraineté de l’Alberta dans un Canada uni pour s’opposer aux incursions du fédéral dans les champs de compétence de sa province, pourfend la taxe sur le carbone, demande publiquement la démission du ministre fédéral de l’Environnement, Steven Guilbeault, et ne rate pas une occasion de signaler que le gouvernement Trudeau s’est fait rappeler à l’ordre à la fois par la Cour suprême sur les évaluations environnementales et par la Cour fédérale sur l’interdiction des plastiques à usage unique.

Pourquoi fait-elle autant réagir à Ottawa ?

« Je pense que c’est de la provocation », a réagi le ministre Guilbeault, mercredi. Lors de son passage à Ottawa quelques jours plus tôt, Danielle Smith l’avait carrément accusé de « nuire à l’unité nationale » avec la tarification du carbone et l’interdiction des plastiques à usage unique. L’Alberta y voit une attaque directe contre son industrie pétrolière et gazière qui lui rapporte des sommes importantes. Mme Smith avait profité de l’occasion pour encenser le ministre de l’Industrie, François-Philippe Champagne, qui a tenté de prendre ses distances. « Je ne pense pas qu’il faut en faire un enjeu personnel. […] Moi, je travaille avec l’ensemble des provinces. »

Au cabinet du ministre de l’Emploi, Randy Boissonnault, on estime qu’elle a tenté de faire diversion en présentant la semaine dernière sa nouvelle politique controversée sur l’identité de genre alors que sa province fait face à une crise du logement et une crise énergétique.

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Manifestation à Toronto contre la politique sur l’identité de genre de Danielle Smith, mardi, alors qu’elle était dans la Ville Reine.

Le ministre libéral originaire de l’Alberta, membre de la communauté LGBTQ+, l’a dénoncée vertement tout en prenant soin d’y associer les conservateurs de Pierre Poilievre. Danielle Smith veut interdire les interventions d’affirmation de genre aux moins de 18 ans et les traitements hormonaux aux moins de 16 ans. Le consentement parental sera requis pour tout changement de pronom ou de nom pour les moins de 16 ans. Elle prévoit également créer des ligues sportives neutres pour éviter que les femmes aient à concourir contre des athlètes transgenres.

« Sur certains aspects de cette politique, par rapport à la divulgation aux parents, il y a une bonne proportion de Canadiens qui sont d’accord avec elle », note Stéphanie Chouinard, professeure de sciences politiques au Collège militaire royal du Canada. « Ce n’est pas une arme aussi claire que les libéraux le pensent. »