(Québec) Après discussions en caucus, le gouvernement Legault maintient son refus d’imposer des sanctions administratives aux conducteurs dès que leur alcoolémie atteint 0,05.

Le Québec est la seule province canadienne à ne pas disposer d’une telle mesure dans son arsenal contre l’alcool au volant. Le Code de la sécurité routière fixe la limite d’alcool à 80 mg pour 100 ml de sang – communément appelée le 0,08. Pour la ministre des Transports, Geneviève Guilbault, « on est déjà au Québec globalement extrêmement sévère par rapport au fléau de l’alcool au volant ».

Elle écarte ainsi le dépôt d’un amendement pour réduire l’alcoolémie tolérée chez les conducteurs dans sa réforme du Code de la sécurité routière, présentement à l’étude à l’Assemblée nationale.

Le gouvernement reste inflexible malgré la relance du débat sur le 0,05 la semaine dernière. Des groupes comme CAA-Québec et l’Association de la santé publique du Québec (ASPQ) ont recommandé d’adopter cette mesure, études scientifiques à l’appui.

Des « amendes ou suspensions temporaires de l’usage d’un véhicule » dès 0,05 auraient un effet éducatif « important », selon CAA-Québec.

C’est surtout une controverse liée au financement de la Coalition avenir Québec qui a placé l’enjeu à l’avant-scène. En pleine commission parlementaire, un couple a révélé qu’il a été invité par une employée d’une députée caquiste à payer 200 $ pour rencontrer Geneviève Guilbault lors d’un cocktail de financement de la Coalition avenir Québec l’automne dernier.

Elizabeth Rivera et Antoine Bittar, dont la fille a été tuée dans un accident de la route causé par l’alcool au volant, militent pour que le Québec rejoigne les autres provinces canadiennes et adopte le 0,05.

Le parti a présenté des excuses au couple et lui a remboursé son don de 200 $. Mais sur le fond, il refuse de lui donner raison.

Nouveau mur pour le 0,05

C’est une occasion de plus où le 0,05 se heurte à un mur à l’Assemblée nationale.

Le gouvernement Charest avait tenté à deux reprises, en 2007 et en 2010, d’imposer une suspension pendant 24 heures du permis de conduire des automobilistes dont l’alcoolémie se situe entre 0,05 et 0,08. Il avait reculé chaque fois devant la grogne des restaurateurs et les hauts cris des partis de l’opposition.

La Table québécoise de la sécurité routière, présidée par Jean-Marie De Koninck, avait recommandé l’abaissement de la limite d’alcool en 2009 puisque « son impact sur le bilan routier est indéniable et puisque la mise en place de cette mesure contribue à réduire le nombre de victimes causées par l’alcool au volant ».

En 2010, l’Institut national de santé publique du Québec avait lui aussi recommandé le 0,05. « La littérature scientifique est unanime quant à l’effet de l’abaissement du taux d’alcoolémie légal sur les collisions routières ». « La performance lors de la conduite d’un véhicule automobile est négativement affectée à partir d’un taux d’alcoolémie de 50 mg/100 ml ». À ce taux, le risque de collision avec blessures graves, voire mortelles, est « multiplié de manière significative », ajoutait-il. CAA-Québec et l’ASPQ avancent les mêmes arguments aujourd’hui en s’appuyant sur les résultats de la recherche.

En 2017, le gouvernement Couillard avait écarté le 0,05 lorsqu’il avait revu le Code de la sécurité routière. Le ministre des Transports André Fortin – toujours député libéral de Pontiac – plaidait qu’il est préférable d’être plus sévère contre les récidivistes de l’alcool au volant. Or à l’époque, le ministère de la Justice suggérait que le Québec suive l’exemple des autres provinces et adopte le 0,05, selon un document que La Presse avait obtenu.

L’opposition est favorable

Aujourd’hui, le député libéral Monsef Derraji entend déposer un projet de loi pour que le Québec adopte le 0,05. Il a présenté une motion ce mercredi pour que l’Assemblée nationale se prononce en faveur de cette mesure. Cette motion sera soumise au vote jeudi. Mais la majorité caquiste va la rejeter, selon la décision prise par son caucus. Le gouvernement a fait savoir que des députés en région ont justifié leur opposition en plaidant l’absence de transport collectif à l’extérieur des grands centres.

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

Le député libéral de Nelligan, Monsef Derraji

Comme le Parti libéral, Québec solidaire est favorable au 0,05. Le Parti québécois répond de son côté qu’« il n’y a rien là-dessus dans [son] programme » à l’heure actuelle. « On en discute, on est ouverts », s’est contenté de dire le chef Paul St-Pierre Plamondon.

L’Association Restauration Québec s’oppose au 0,05 notamment parce qu’elle craint une perte de profits sur la vente d’alcool. Or le ministre de l’Économie, Pierre Fitzgibbon, a répondu à la presse parlementaire mercredi qu’adopter le 0,05 ne serait pas nuisible aux commerçants, selon lui. Il a refusé de dire s’il est lui-même pour ou contre la mesure.

Selon un sondage Léger commandé par l’ASPQ l’an dernier, 57 % des Québécois seraient favorables au fait d’abaisser la limite d’alcoolémie à 0,05 dans le Code de la sécurité routière. Le gouvernement Legault a fait savoir dans les derniers jours qu’il a commandé un coup de sonde démontrant que les Québécois sont très divisés sur le sujet.

« Conduire un peu chaud » : la chronique de Patrick Lagacé