(Ottawa) Ni le sous-ministre délégué du ministère des Services publics et de l’Approvisionnement ni un sous-ministre adjoint n’ont démenti mercredi la valeur de 258 millions en contrats obtenus par la firme GC Strategies du gouvernement fédéral depuis 2015. Ce nombre, ou sa version arrondie de 250 millions, a pourtant été mentionné à quatre reprises par des députés en comité parlementaire lors des témoignages de Michael Mills et de Dominic Laporte.

Questionnés par La Presse à savoir pourquoi ils n’ont pas corrigé le nombre avancé par les députés, MM. Mills et Laporte ont été incapables de donner une explication.

« Nous ne sommes pas présentement en mesure de dire », a offert le sous-ministre adjoint de la Direction générale des programmes de l’approvisionnement du ministère, Dominic Laporte, s’empressant d’indiquer que ce n’était pas une réponse officielle à la question avant de nous référer aux communications de son ministère. Il a également félicité La Presse pour ses reportages sur l’affaire GC Strategies avant de quitter la salle.

Le ministère avait mis en doute la compilation effectuée par La Presse à l’effet que GC Strategies, une firme qui ne compte que deux associés qui travaillent de la maison, avait obtenu plus d’une centaine de contrats de divers ministères et agences totalisant 258 millions depuis 2015. Le calcul avait été effectué à partir du site web du gouvernement fédéral visant à assurer une plus grande transparence dans l’attribution des contrats de plus de 10 000 $ à des entreprises. Radio-Canada avait ensuite fait le même exercice pour arriver à la somme de 239 millions.

La députée du Bloc québécois, Nathalie Sinclair-Desgagné, le député conservateur Pierre Paul-Hus et le député néo-démocrate Blake Desjarlais ont tous mentionné la somme arrondie de 250 millions dans leurs questions au sous-ministre délégué Mills et au sous-ministre adjoint Laporte qui n’ont jamais corrigé ce nombre. Le député conservateur Michael Barrett a cité la somme de 258 millions sans que MM. Mills et Laporte le reprennent.

Les deux hauts fonctionnaires ont témoigné au comité permanent des comptes publics mercredi dans la foulée du rapport de la vérificatrice générale sur le fiasco financier entourant l’application ArriveCAN.

« Personne n’est capable de dire combien exactement est-ce que GC Strategie a obtenu et je pense qu’il est là le nœud du problème », a réagi Mme Sinclair-Desgagné à la sortie du comité. « Tout ce qui est documentation est tellement mal fait que finalement, on n’arrive pas à savoir dans les années les plus récentes combien cette compagnie-là a reçu. »

« Ils ne veulent pas parler de ce qui s’est passé », a déploré M. Paul-Hus.

La confusion règne sur la valeur des contrats octroyés à GC Strategies depuis l’arrivée au pouvoir des libéraux en 2015. Ni le ministère, ni le ministre Jean-Yves Duclos, ni les documents soumis au Parlement censés permettre au public de voir comment leur argent est dépensé ne permettent d’établir un portrait clair.

Dans un courriel la semaine dernière, le ministère a soutenu que la valeur totale des contrats accordés à l’entreprise au cours des huit dernières années est beaucoup moins élevée, évoquant la somme de 59,8 millions pour 34 contrats. Les données ouvertes du gouvernement sont peu fiables puisqu’un même contrat peut apparaître plus d’une fois sans être bien spécifié. Un constat partagé par l’ombudsman de l’approvisionnement.

Une compilation réalisée par tous les ministères et agences fédérales et dûment signée par les ministres responsables et soumise à la Chambre des communes indique plutôt que l’ensemble des contrats qui ont été attribués à cette firme depuis 2015 totalise 96 millions.

L’un des dirigeants de GC Strategies, Kristian Firth, avait déjà indiqué en comité parlementaire avoir obtenu des contrats de 20 ministères. Il avait également affirmé prendre une commission variant de 15 % à 30 %, selon les standards de l’industrie. L’entreprise, éclaboussée dans un récent rapport de la vérificatrice générale sur l’application ArriveCAN, n’a aucune expertise en technologie de l’information. Elle obtient des contrats du gouvernement fédéral et trouve ensuite des programmeurs pour faire le travail.

CAPTURE D’ÉCRAN D’UNE VIDÉO FOURNIE PAR LA CHAMBRE DES COMMUNES

Kristian Firth, un des dirigeants de GC Strategies, en Chambre

Les hauts fonctionnaires du ministère ont soutenu avoir bien fait leur travail en avisant l’Agence des services frontaliers (ASFC) qu’il y avait un risque à donner des contrats sans appels d’offres à GC Strategies, mais qu’ultimement c’est l’AFSC qui a pris la décision finale.

Des fonctionnaires du ministère ont toutefois cosigné les contrats alloués pour ArriveCAN tout comme les autorisations de tâches vagues qui ont permis de gonfler leur valeur.

M. Mills a affirmé que son ministère avait mis en place plusieurs mesures de contrôle depuis dont celle de s’assurer que les autorisations de tâches soient claires et incluent des éléments livrables pour pouvoir évaluer si le travail a bien été effectué.