Un élu municipal québécois sur 10 a quitté ses fonctions depuis son élection à l’automne 2021, selon l’Union des municipalités du Québec. Épuisés, surchargés et souvent harcelés, ils sont de plus en plus nombreux à réclamer des changements pour réduire la pression sur leurs épaules.

Un problème « immense »

PHOTO CATHERINE LEFEBVRE, ARCHIVES COLLABORATION SPÉCIALE

La mairesse de Sherbrooke, Évelyne Beaudin

« Ça devient inhumain, ce qu’on demande à nos élus », lance la mairesse de Sherbrooke, Évelyne Beaudin. Fin octobre, la politicienne avait annoncé qu’elle suspendait ses activités pour éviter « un état d’épuisement qui serait trop important ». Elle est revenue à son poste près de trois mois plus tard, en janvier. À ses yeux, « la solution doit être à la hauteur du problème, qui est immense ». « Depuis deux ans, on réduit souvent le problème au comportement de quelques têtes brûlées, de quelques personnes qui font des menaces de mort, qui sont méchantes sur les réseaux sociaux. Aujourd’hui, j’espère qu’on va comprendre qu’il faut que la réflexion soit beaucoup plus profonde », plaide Mme Beaudin. Elle estime que le Québec fait face à « une démocratie locale en crise » et déplore notamment le « manque de processus clairs » faisant fonctionner les rouages de la sphère municipale, ainsi que les disparités des structures d’une ville à l’autre.

« On perd le sens »

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Le maire de Trois-Rivières, Jean Lamarche

À Trois-Rivières, le maire Jean Lamarche peut aussi témoigner des rudesses de la vie municipale. L’an dernier, il avait pris un congé de maladie après avoir littéralement « flanché » de fatigue. L’élu avait admis avoir songé à démissionner à l’époque, dans un contexte de vives tensions au conseil municipal. « C’est l’accumulation, le problème. Il y a des matins où on ne trouve plus le sens, on ne sait plus pourquoi on va travailler. Et c’est là que les problèmes d’anxiété naissent. On s’éloigne de la raison [pour] laquelle on est arrivés en poste, soit de créer du changement », explique-t-il. Selon le maire, il est urgent de ramener « un souci d’éthique et de déontologie à l’intérieur des conseils de ville ». « On peut vivre avec les insultes, avec le fait que les gens ne sont pas d’accord, mais la pression constante, c’est ça, le problème », avance M. Lamarche.

Revoir le rôle des élus

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Isabelle Lessard, ex-mairesse de Chapais

L’idée de mettre sur pied une commission gouvernementale itinérante qui se pencherait sur le sort des élus municipaux est soutenue par de plus en plus de voix. Isabelle Lessard, l’ex-mairesse de Chapais qui a quitté l’hôtel de ville l’automne dernier après des mois de gestion des incendies de forêt qui l’ont épuisée, en fait partie. « Il n’y a pas de solution miracle, mais la première étape, ça serait de s’asseoir, de prendre un temps d’arrêt et de se dire franchement dans quel modèle de politique on est rendus », souffle-t-elle en entrevue. « Tellement de choses ont changé, mais nous, c’est comme si on n’avait pas progressé pendant ce temps-là. Ça prend une structure, avec un pouvoir d’agir, qui s’attarde à réellement revoir le rôle des élus. Sinon, on ne s’en sortira pas », poursuit Mme Lessard. Selon elle, le départ de la mairesse de Gatineau « fait juste démontrer qu’il n’y a rien qui bouge encore, du moins pas assez rapidement, et peut-être pas de la bonne façon ».

Au nom de la relève

PHOTO OLIVIER JEAN, ARCHIVES LA PRESSE

Jean-François Parenteau, ancien maire de Verdun

« Il y a probablement des dizaines d’autres élus qui doivent réfléchir à leur avenir en ce moment », juge l’ancien maire de Verdun, Jean-François Parenteau, qui s’était retiré de la vie politique en 2021 en raison des attaques personnelles omniprésentes sur les réseaux sociaux. M. Parenteau juge aussi « important d’avoir une commission pour déterminer là où le bât blesse, là où ça fait mal ». « On est devant une urgence d’agir. Ça prend des balises, des normes, parce que si on ne change rien pour la relève et pour les jeunes, il y en a beaucoup qui vont y penser à deux fois avant de s’impliquer », glisse-t-il. À ses yeux, « les gens ne voient pas derrière le rideau comment ça peut être virulent, être en politique ». « Ce n’est pas juste avec les citoyens, mais entre les élus aussi. Il faut vraiment qu’on y réfléchisse », note le principal intéressé.

La très grande proximité

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Justine McIntyre

Pour l’analyste politique et ancienne cheffe du défunt parti Vrai changement pour Montréal, Justine McIntyre, l’enjeu réside dans le fait que le milieu municipal « est le niveau de politique auquel les citoyens ont le plus facilement accès ». « On ne s’y attend pas, à cette surcharge, en arrivant. On est extrêmement vulnérables et accessibles », dit-elle. Mme McIntyre estime que la formation aux élus devrait être resserrée. « Il faut mieux préparer nos élus à ce que sont leurs responsabilités, où elles s’arrêtent et ce qu’ils vont devoir tolérer, avec une importante sensibilisation de ces réalités auprès de la population », soutient l’ex-politicienne. Elle déplore que les citoyens voient les élus « comme étant de l’autre côté du miroir ». « C’est comme si, tout à coup, on n’était plus de simples citoyens. Et je trouve ça dommage », conclut-elle.

Avec Philippe Teisceira-Lessard, La Presse