(Ottawa) Le président de Dalian Enterprises inc. devra expliquer en comité parlementaire comment il a pu être à la fois consultant et fonctionnaire pour le même ministère. David Yeo, dont l’entreprise a reçu une large part du financement public pour le développement de l’application ArriveCAN, avait également obtenu quelques millions de dollars de contrats de la Défense nationale.

Le ministre Bill Blair ainsi que trois hauts fonctionnaires seront également appelés à témoigner au comité permanent des comptes publics de la Chambre des communes. Une motion en ce sens a été adoptée à l’unanimité mardi.

M. Yeo a été suspendu par le ministère la semaine dernière après que La Presse eut vérifié ses antécédents dans les Forces armées canadiennes. Celui qui a été candidat pour le Parti populaire du Canada en 2021 a bel et bien eu une carrière militaire 1987 à 2016.

Or, nous avons appris qu’il travaillait tout récemment comme fonctionnaire pour la Défense nationale. Le ministère n’a pas voulu préciser depuis quand ni quel poste il occupait ou si sa suspension est avec ou sans solde. Une enquête interne a été lancée et tous les contrats de Dalian avec ce ministère ont été suspendus.

Tous les autres contrats de Dalian et de Coradix Technology Consulting avec qui elle forme une coentreprise ont également été suspendus par le ministère des Services publics et de l’Approvisionnement (SPAC). Elles ne pourront plus soumissionner lors d’appels d’offres jusqu’à nouvel ordre.

« SPAC s’est empressé de suspendre la cote de sécurité de Dalian Enterprises en réaction à l’information révélée récemment », a fait savoir le ministère vendredi.

Dalian et Coradix Technology Consulting sont inscrites au Répertoire des entreprises autochtones du gouvernement fédéral. Ottawa s’est donné pour objectif d’accorder annuellement au moins 5 % de la valeur totale de tous les contrats gouvernementaux à des entreprises autochtones, soit l’équivalent de la proportion de la population autochtone au pays. Cela représente environ 1 milliard par année. M. Yeo est membre de la Première Nation d’Alderville en Ontario. Il n’a jamais répondu aux messages de La Presse.

« Les apparences sont qu’on dirait que c’est purement un paravent pour que des compagnies qui n’ont pas de liens avec les Autochtones puissent néanmoins recevoir des contrats [destinés aux Autochtones] », avait observé la députée du Bloc québécois, Julie Vignola, en entrevue la semaine dernière.

Dalian avait obtenu pour 8 millions de contrats pour le développement d’ArriveCAN, soit le deuxième montant le plus élevé après les 19 millions accordés à GC Strategies, selon un rapport dévastateur de la vérificatrice générale. La première version de l’application a coûté 80 000 $, mais la facture a fini par atteindre près de 60 millions.

M. Yeo a déjà témoigné en octobre au comité des opérations gouvernementales en raison de l’explosion des coûts d’ArriveCAN. Il peinait alors à expliquer ce qu’il faisait exactement pour le compte du gouvernement. Dalian n’effectue pas elle-même le travail. Elle prend une commission et sous-traite ensuite le travail à d’autres consultants experts en informatique.

La Presse a également découvert que M. Yeo avait ouvert depuis 2011 deux sociétés dans des paradis fiscaux qui sont reconnus par les experts pour favoriser le camouflage des transferts de fonds et l’évasion fiscale, selon des documents confidentiels obtenus par deux consortiums de journalistes d’enquête auxquels La Presse collabore. Un geste qui n’a rien d’illégal en soi, mais qui devrait servir de « drapeau rouge », selon le chef de la direction de la firme d’enquêtes privée Vidocq, Jonathan Légaré.

Avec Vincent Larouche, La Presse