(Ottawa) L’industrie militaire canadienne déplore le manque d’information en provenance du gouvernement canadien, qui a décrété un gel de la délivrance de nouvelles licences d’exportation d’équipement vers Israël.

Rien n’a été communiqué aux fabricants d’armes depuis que le gouvernement a cessé, le 8 janvier dernier, de donner le feu vert aux licences d’exportation de matériel militaire non létal vers Israël, de crainte que celui-ci puisse être utilisé pour commettre des violations du droit humanitaire international.

Silence radio, aussi, depuis l’adoption d’une motion consignant la décision noir sur blanc, le 18 mars dernier, à en croire Christyn Cianfarani, présidente et directrice générale de l’Association canadienne des industries de défense et de sécurité.

« Pour que les entreprises puissent se conformer aux changements apportés aux réglementations en matière d’exportation, elles doivent savoir quels sont ces changements », a-t-elle fait remarquer dans une déclaration transmise par son bureau.

« Le gouvernement a la responsabilité de publier rapidement les détails exacts de tout changement apporté à sa politique suite à la motion [adoptée il y a deux semaines], et cela n’a pas encore été fait », a poursuivi Mme Cianfarani.

Aucune des entreprises canadiennes fabricantes de biens et technologies militaires qui auraient pu être livrés à Israël n’a souhaité aborder la question. « Nous n’avons aucun commentaire à fournir », a-t-on répondu chez General Dynamics Canada.

En décembre, son usine d’armement de Saint-Augustin-de-Desmaures a été le théâtre d’une manifestation de militants propalestiniens. Selon le média de gauche Pivot, des dizaines de personnes se sont couchées au sol, recouvertes de peinture rouge, pour dénoncer la possible vente d’armes à l’État hébreu.

L’entreprise ontarienne Roshel, qui fabrique des véhicules blindés légers, n’a pas répondu aux courriels de La Presse. Il y a un peu plus de deux semaines, elle disait attendre depuis « plus de trois mois » une décision du fédéral pour exporter vers Israël ce qu’elle appelle des « véhicules de transport » Senator.

Au dire de son PDG, Roman Shimonov, un contrat a été conclu avec l’État hébreu en vue de l’expédition de ces véhicules blindés légers dont l’utilisation « ne serait pas à des fins militaires, mais uniquement pour des opérations de police intérieures ».

En vertu de la motion, le gouvernement « cesse l’approbation et le transfert d’autres exportations d’armes à destination d’Israël pour veiller au respect du régime d’exportation des armes du Canada et de redoubler d’efforts pour mettre fin au commerce illégal d’armes, y compris d’armes destinées au Hamas ».

La confusion règne

Affaires mondiales Canada reconnaît que l’industrie n’a pas encore été informée des changements au régime d’exportation. « Le gouvernement évalue les prochaines étapes à la suite de l’adoption de la motion […] et une mise à jour sur ce sujet suivra prochainement, y compris aux partenaires de l’industrie », a-t-on indiqué.

Le manque de clarté du gouvernement est également décrié par l’organisation pacifiste Project Ploughshares – qui, pour une rare fois (et pour des raisons bien différentes, évidemment), parle de la même voix que les fabricants d’armes.

La confusion qui règne est considérable. On ignore à quoi l’interruption s’applique. Il semble que l’application de cette politique sera édulcorée de façon significative, puisqu’elle ne s’appliquera qu’aux nouveaux permis.

Kelsey Gallagher, chercheur et membre du groupe Project Ploughshares

La motion elle-même, qui a été rejetée en bloc par les élus du Parti conservateur et que trois élus libéraux ont rejetée, n’est pas comprise de la même manière. Chez les néo-démocrates, on estimait que le mot « transfert » signifiait que les armes qui devaient être envoyées en vertu de contrats existants ne le seraient pas.

Or, ce robinet n’est pas fermé ; les marchandises non létales dont l’exportation avait déjà été approuvée vont continuer à être expédiées, a-t-on signalé au bureau de la ministre des Affaires étrangères, Mélanie Joly. La motion, au demeurant, n’est pas contraignante.

« Si l’envoi hypothétique de matériel militaire à Israël pose un risque, logiquement, le même risque existe pour l’envoi de matériel qui a été approuvé, mais pas encore envoyé. Il faut donc que le gouvernement soit clair, précis et transparent », affirme à ce sujet Kelsey Gallagher.

Le gouvernement canadien n’a pas précisé la valeur totale des contrats militaires qui sont en jeu.

La Loi sur les licences d’exportation et d’importation oblige la ministre Joly à rejeter toute demande de permis s’il existe un « risque sérieux » que le matériel porte atteinte à la paix ou serve à des violations du droit international.

Le gouvernement israélien se défend de contrevenir au droit humanitaire international.

Plus de 30 000 personnes, dont des milliers d’enfants, ont été tuées depuis le début de l’offensive israélienne dans la bande de Gaza, après qu’un attentat terroriste perpétré par le Hamas eut fait environ 1140 victimes en Israël, en majorité des civils.

L’histoire jusqu’ici

Février 2024

On apprend que depuis le début de l’offensive d’Israël à Gaza, le Canada a autorisé l’exportation d’au moins 28,5 millions en équipement militaire vers l’État hébreu.

5 mars 2024 

Une coalition d’avocats canadiens et des citoyens d’origine palestinienne déposent une poursuite contre le gouvernement et la ministre des Affaires étrangères, Mélanie Joly.

14 mars 2024 


Affaires mondiales Canada confirme, après des fuites médiatiques, que les licences d’exportation pour les marchandises destinées à Israël n’ont pas été délivrées depuis le 8 janvier.

18 mars 2024 

La Chambre adopte à majorité la motion néo-démocrate exigeant entre autres une cessation de l’approbation et du transfert d’autres exportations d’armes à destination d’Israël.