Brian Mulroney avait promis en campagne électorale de réintégrer le Québec « dans l’honneur et l’enthousiasme » – le regretté sénateur Arthur Tremblay avait suggéré « honneur », Mulroney avait ajouté l’enthousiasme.

Parmi ses conseillers, on trouve à l’époque un jeune constitutionnaliste, Gil Rémillard, capable d’articuler le contenu de la « réconciliation nationale » que Mulroney appelle de tous ses vœux. Rémillard travaille des mois à définir les conditions nécessaires à l’adhésion du Québec à la Constitution signée par le reste du pays, en 1982.

Les élections générales québécoises sont proches. Mulroney et Bourassa s’entendent vite : Rémillard, universitaire et improbable politicien, sera candidat du PLQ dans Jean-Talon. En décembre 1985, il est l’un des 99 députés libéraux élus, sur 122 sièges. Le PLQ obtient 56 % des suffrages.

Le 30 avril 1987, les premiers ministres se rendent à la maison Wilson, près du lac Meech, dans le parc de la Gatineau. Un passage délicat de la proposition d’entente concerne la reconnaissance du Québec comme société distincte, l’une des conditions posées par Robert Bourassa. Ce dernier quitte la table un moment et Mulroney est le seul Québécois autour de la table. Tout le monde s’entend pour reconnaître une évidence. Le Québec, société majoritairement francophone de près de 7 millions de personnes à l’époque, est une société distincte.

C’est un moment de grâce pour Mulroney, qui vient de trouver une place, comme médiateur entre les deux solitudes, dans les livres d’histoire. Mais d’autres réunions, plus houleuses, suivront. Le premier ministre ontarien David Peterson se méfiera longtemps de l’impact de la reconnaissance de la société distincte – la campagne de Pierre Trudeau contre Meech avait ébranlé bien des libéraux.

Lors d’une conférence plus formelle à Ottawa, le 2 juin, l’enthousiasme s’est refroidi. Pierre Trudeau, en dépit d’une rencontre avec Gil Rémillard, alerte son réseau : le concept de société distincte prévu dans l’entente peut réduire la portée de la Charte canadienne des droits et libertés.

Au bout d’une nuit de discussions, les premiers ministres retrouvent leur unanimité autour de l’entente. Les législatures des provinces doivent ratifier celle-ci dans un délai de trois ans. Le Québec ouvre la marche le 23 juin 1987. Tout semble sur les rails. Mulroney estime avoir scellé la réconciliation du Québec avec le reste du pays « de manière définitive ».

C’était sans compter des obstacles imprévus. Au Nouveau-Brunswick, le chef libéral Frank McKenna, en campagne électorale, juge l’entente du lac Meech insatisfaisante. Il remportera tous les sièges dans sa province et mettra du sable dans l’engrenage.

Une erreur

Le 15 décembre 1988 marque un tournant dans le processus de ratification. Ce jour-là, la Cour suprême invalide des dispositions de la loi 101 qui interdisaient l’utilisation de l’anglais dans l’affichage commercial. Trois jours plus tard, inquiet devant les importantes manifestations, Bourassa décide à contrecœur de recourir à la clause dérogatoire pour maintenir la prohibition de l’anglais.

Meech « a été un bouc émissaire, un paratonnerre sur lequel sont tombées toutes les passions anti-Québec et anti-francophones surgies au pays à la suite de l’utilisation de la clause “nonobstant” », résumera Mulroney dans son journal, en juin 1992. Il avait publiquement désapprouvé le recours à la clause dérogatoire ; son ministre Lucien Bouchard, au contraire, la décrit comme « un mécanisme essentiel à la protection de certaines valeurs au Québec ». Furieux, Mulroney songe déjà à rompre cette amitié de 30 ans.

PHOTO CHUCK MITCHELL, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Brian Mulroney en plein discours à la Chambre des communes pour faire adopter une résolution exhortant le Manitoba et Terre-Neuve à adopter l’accord du lac Meech, en juin 1990

Tout le monde comprend que l’accord a subitement du plomb dans l’aile. Le premier ministre manitobain Gary Filmon, conservateur, retire son appui sur-le-champ. Meech devait protéger les minorités linguistiques et la décision de Bourassa est contraire aux intérêts de la communauté anglophone du Québec. À la fin de 1989, Clyde Wells, premier ministre libéral de Terre-Neuve, retire à son tour l’appui de sa province, promis par son prédécesseur Brian Peckford.

Un mois plus tard, Terre-Neuve, le Nouveau-Brunswick et le Manitoba officialisent leur opposition à Meech. En mars 1990, Mulroney nomme Jean Charest à la tête d’un comité parlementaire pour sortir Meech de l’impasse. Le groupe proposera que les Communes adoptent une résolution pour encadrer la « société distincte ». Le 21 mai, Lucien Bouchard démissionne de son poste de ministre de l’Environnement en accusant le gouvernement de vouloir diluer Meech pour satisfaire les libéraux.