Un an après l’accord du lac Meech visant à consacrer l’adhésion du Québec à la Constitution canadienne, Brian Mulroney lance une deuxième campagne électorale, en 1988

Le chef libéral John Turner est dans une situation précaire à l’automne 1988. Une douzaine de députés libéraux ont voté contre Meech, en dépit du mot d’ordre du chef. Turner fera d’ailleurs face à une mutinerie dans son caucus, en pleine campagne électorale ; des supporters de Jean Chrétien espèrent voir ce dernier prendre les commandes du parti. À quelques jours des débats télévisés de la fin octobre, Turner est déstabilisé.

Divisés sur la question du Québec, les libéraux feront surtout campagne contre l’entente de libre-échange – les Communes viennent d’adopter le projet de mise en œuvre de l’entente avec Washington. Selon Turner, Mulroney a bradé l’héritage canadien. Le traité comporte des risques pour les programmes sociaux, met en péril l’assurance maladie, l’assurance chômage, même les pensions de vieillesse, insiste le libéral lors du débat.

PHOTO ANDREW VAUGHAN, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Le premier ministre Brian Mulroney avant un déplacement en avion vers Ottawa, en octobre 1988

Dans ses mémoires, Mulroney salue en Turner ce « guerrier digne, un adversaire de valeur », injustement traité par des députés qui manquaient de loyauté. Il était moins affable en privé. Dans ses entrevues dévoilées par Peter C. Newman, il évoque ses origines modestes et compare son passé de camionneur avec ce boursier Rhodes, dont « le steak est tombé dans l’assiette ».

Après la démission du chef libéral, il aura un bon geste ; il lui proposera de devenir ambassadeur du Canada au Vatican, une sinécure pour ce catholique pratiquant. Turner l’a remercié, mais a préféré continuer sa carrière à Bay Street.

Les libéraux en montée

Avec le temps, la perception s’est installée ; les élections de 1988 ont été un plébiscite en faveur du libre-échange. Ceux qui ont traversé cette campagne sont d’un autre avis. Fin octobre, après les débats, les sondages internes des conservateurs montrent que les libéraux sont désormais au coude-à-coude, et sont en montée. Mulroney note dans ses mémoires, au sujet de Turner, « sa prestation étonnamment solide dans les débats ; il était devenu le pont que pouvaient emprunter les gens opposés au libre-échange ».

Turner et le chef néo-démocrate Ed Broadbent mènent une campagne musclée, inquiètent les aînés quant à l’avenir de leurs pensions et des programmes d’assurance maladie.

Dans ses confidences à Peter C. Newman, Mulroney souligne que cette élection n’a pas tant porté sur le libre-échange ; ce fut plutôt « un référendum sur le choix d’un premier ministre ».

En campagne, les assemblées de Mulroney sont souvent assiégées par des adversaires qui l’invectivent. Les conservateurs sont dans une position difficile. Norm Atkins, directeur de la campagne conservatrice, suggère même que le libre-échange soit soumis à un référendum pancanadien. Mulroney, informé sur le tard, s’y oppose violemment. C’est encore en dépit de l’avis des conseillers que Mulroney accepte de répondre aux questions sur l’avenir des programmes sociaux.

Les articles relevés par les adversaires ne sont en rien une menace. Au surplus, Emmett Hall et Claude Castonguay, deux références au pays sur ces questions, déclareront publiquement que l’entente ne comporte aucun risque pour ces programmes. Le 21 novembre, les conservateurs sont réélus avec 169 circonscriptions – contre 211 en 1984. Au Québec, le nombre d’élus passe de 58 à 62 – avec 53 % des suffrages exprimés dans la province. Les conservateurs font même mieux au Québec que dans leur bastion traditionnel, l’Alberta.