« Il a 10 idées par jour. Le défi, c’est de trouver la bonne ! »

L’ancien chef de cabinet de Jacques Parizeau et conseiller informel de Lucien Bouchard, Jean Royer, répète encore aujourd’hui sa célèbre remarque au sujet de Jean-François Lisée.

Mais ce jour-là de 1998, Jean-François Lisée a une bien bonne idée.

Conseiller de Lucien Bouchard, il entreprend des démarches, comme d’autres dans l’entourage du premier ministre, afin de recruter des candidats au profil économique. Des souverainistes, évidemment.

Qui pourrait bien l’aider dans sa quête ? Il donne un coup de fil à son ami André Bouthillier, ex-journaliste et consultant en relations publiques.

André Bouthillier vient justement de manger avec François Legault. Il sonde aussitôt l’intérêt de son ancien client de l’époque d’Air Transat, qu’il sait souverainiste et probablement prêt pour la politique.

« Je […] lui rapportai ma conversation avec Lisée. Son “OUI” enflammé résonne encore dans mes oreilles », écrit M. Bouthillier dans son autobiographie parue l’an dernier, Le goût du risque (Somme toute/Le Devoir).

En entrevue, François Legault nuance un peu : « Quand il m’a appelé pour savoir si je pouvais être intéressé à faire de la politique […], je lui ai dit que j’avais de l’ouverture ». Il reste qu’André Bouthillier lui ouvre la porte du monde politique, « et il faut lui donner [une part] du mérite » comme à Jean-François Lisée et à Lucien Bouchard.

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L’ancien chef du Parti québécois Jean-François Lisée, en 2018

André Bouthillier rappelle son ami pour l’informer de l’intérêt de François Legault. « Ça allait bien, mes affaires, c’était mon premier appel ! », lance Jean-François Lisée en entrevue. Il passe le mot à Lucien Bouchard qui, dit-il, sait qui est ce François Legault.

Leurs versions diffèrent sur les dates et la séquence des évènements, mais Lisée et Bouchard croient aujourd’hui plausible le fait que leurs démarches aient été parallèles.

Tant qu’à venir en politique...

François Legault s’entretient alors avec Jean-François Lisée. « Il m’a suggéré de participer à une mission économique aux États-Unis pour avoir l’occasion de jaser avec Lucien Bouchard », relate M. Legault.

Quelques dizaines d’entrepreneurs accompagnent Lucien Bouchard à Boston, Atlanta, Chicago et Philadelphie en mai 1998. Quatre villes en quatre jours.

Lucien Bouchard et François Legault trouvent le temps de jaser un peu. « On parlait d’implication politique déjà », avance François Legault, plutôt incertain. M. Bouchard ne se souvient pas de l’entretien. « Peut-être qu’on n’a pas vraiment parlé politique lors de la mission, poursuit M. Legault. On a peut-être plus parlé de nos femmes qui se connaissent, de nos enfants, des choses comme ça. Et on s’est promis de se revoir. »

Toujours est-il que Lucien Bouchard parle de François Legault à son entourage lorsqu’il envisage un remaniement ministériel en septembre 1998. Ses conseillers ne sont pas tous convaincus de la pertinence d’une telle opération à ce moment.

Lucien Bouchard suggère de faire de M. Legault un ministre non élu. Son idée est faite. On lance la machine. Une rencontre s’organise.

C’est le premier entretien officiel entre Lucien Bouchard et François Legault, témoigne l’ancien premier ministre. « Je ne dirais pas que j’ai eu de la misère à le convaincre. Il était déjà intéressé. »

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François Legault, en 1999

François Legault se présente au bureau de M. Bouchard, dans la tour d’Hydro-Québec, avec environ dix pages de notes écrites pendant la fin de semaine.

« J’étais arrivé avec une liste des changements que je voyais au Québec. On a eu une bonne conversation. Et on se rejoignait sur beaucoup de sujets, entre autres sur l’écart de richesse du Québec » par rapport à ses voisins qu’il faut résorber. « J’avais beaucoup aimé ma rencontre. »

Il n’y a pas de flaflas dans les propos de François Legault, se rappelle Lucien Bouchard.

Je voyais qu’il voulait venir pour faire une job, qu’il était intéressé par l’idée de prendre des décisions et de jouer un rôle économique au Québec. J’ai senti que c’était authentique, cette affaire-là. Il ne cherchait pas à se vendre ou à se vanter.

Lucien Bouchard

Lucien Bouchard est « très impressionné ». « François Legault était solide, calme, posé, de bon jugement, avec le sens de l’humour », résume-t-il.

« Il m’a confirmé à ce moment-là que peut-être il serait intéressé, mais que, bon, il y a une question de comté et de quoi faire, c’est sûr… »

Lucien Bouchard lui fait une offre : devenir ministre de l’Industrie et du Commerce. Cette responsabilité relève alors du tout-puissant Bernard Landry, vice-premier ministre et titulaire des Finances et de l’Économie. Le « grand vizir » aurait préféré que l’on propose à M. Legault le poste de ministre délégué, que le petit nouveau soit donc sous son autorité, laisse entendre M. Bouchard. « Mais j’ai compris que tant qu’à venir en politique, François Legault voulait avoir la signature, comme on dit. »

La proposition est sur la table. François Legault a deux jours pour y penser.