La lutte au gangstérisme dans l'industrie de la construction nécessite beaucoup de temps et d'argent, mais lorsqu'elle est couronnée de succès, elle peut offrir un formidable retour sur investissement à l'État québécois grâce à la saisie de fortunes colossales.

C'est ce qui ressort des témoignages des enquêteurs qui ont investi des années de travail avant de coincer l'as fraudeur Ronald Chicoine pour sa participation à un complexe stratagème de fausses facturations et de blanchiment d'argent.

Ronald Chicoine a plaidé coupable en août à diverses accusations, notamment de gangstérisme, fraude et blanchiment d'argent.

Dans la cadre du projet Dorade, la Sûreté du Québec a déterminé que son centre d'encaissement de chèques de Charlemagne, Crédit Fonds Lanaudière, avait encaissé plus de 40 millions $ en chèques émis par des entrepreneurs en construction à des compagnies fictives.

Les entrepreneurs recevaient ainsi de fausses factures utilisées pour frauder l'impôt. Ils récupéraient aussi en sous-main d'importantes sommes d'argent liquide qu'ils pouvaient utiliser à leur guise, notamment pour payer des travailleurs au noir.

Outre le système de fausses factures, la deuxième phase du projet Dorade a permis de démontrer que l'entreprise de Ronald Chicoine était aussi au coeur d'un stratagème de blanchiment d'argent sale à travers des compagnies étrangères qui étaient secrètement sous son contrôle. Le stratagème avait des ramifications en Suisse et aux Bahamas.

Enquête complexe

À l'occasion de représentations sur sentence de Chicoine jeudi, la Couronne a insisté sur l'ampleur des ressources investies pour lui mettre la main au collet. Le récit devant le tribunal des techniques d'enquête était à lui seul très laborieux. « Je peux vous dire quelque chose maître, c'est complexe », a commenté le juge Jean-Pierre Boyer.

Pour l'enquête sur les fausses factures, la SQ estime avoir déboursé 1,5 million $ pour les salaires des enquêteurs, l'écoute électronique, la filature, les perquisitions et la coûteuse expertise des juricomptables. « C'est un minimum, sans compter la gazoline dans les voitures et certains temps supplémentaires », a commenté le sergent Vincent Rodrigue, un des enquêteurs attitrés au dossier.

Pour la deuxième phase du projet, visant le blanchiment d'argent, le corps policier a déboursé environ 3 millions $, notamment pour analyser les 100 000 conversations interceptées et les centaines de milliers de documents saisis.

« C'est une chose de tout saisir, c'en est une autre de tout analyser », a commenté l'enquêteur David Proulx, insistant sur l'ampleur de la tâche.

Revenu Québec, qui s'occupait du volet évasion fiscale de l'affaire, n'a pas été en mesure de dire dire au tribunal combien elle lui avait coûté. Un représentant de l'organisme a toutefois témoigné que les employés du fisc y avaient mis 28 000 heures de travail.

Des coûts importants, en temps et en argent. La couronne a tenté de faire valoir au juge jeudi que l'ampleur et la complexité du dossier devraient être retenues comme facteurs aggravants dans la détermination de la sentence de Ronald Chicoine.

Une fortune à confisquer

Mais comme l'a souligné l'avocate de Chicoine, Me Christiane Filteau, les autorités risquent d'y trouver leur compte. La Sûreté du Québec a obtenu des ordonnances de blocage record de 40 millions $ sur les actifs du groupe de Chicoine : argent comptant, immeubles, véhicules. La couronne tente présentement de faire confisquer définitivement tous ces biens. « Je vous le souhaite », a lancé Me Filteau avec le sourire.

L'État québécois pourrait ainsi récupérer une fortune qui « dépasse largement les coûts de l'enquête », a-t-elle fait admettre à l'enquêteur Proulx. Le retour sur l'investissement serait potentiellement neuf fois supérieur à ce que la SQ a dépensé. Même en ajoutant les salaires des employés de Revenu Québec, le dossier demeurerait très rentable pour l'État.

La requête en confiscation des biens sera entendue le 2 février. D'ici là, la Couronne réclame une sentence de huit ans de prison pour Chicoine, alors que la défense propose plutôt 42 mois.