Le Laboratoire de sciences judiciaires et de médecine légale mettra entre un an et demi et deux ans avant de rattraper le retard dans la rédaction des rapports d'autopsies, dont certains sont attendus depuis plus de deux ans.

«Il y a des cas qui attendent depuis deux ans et trois mois, confirme Yves Dufour, le directeur général du Laboratoire. Mais ce ne sont pas des cas criminels. Là-dedans, ça peut être des suicides, des cadavres découverts dans l'eau au printemps, ou quelqu'un qui est mort chez lui.»

Les retards, attribuables à un manque de pathologistes, affectent même certains dossiers criminels, notamment celui du meurtre de Réjeanne Pelletier-Charette, une femme de 82 ans assassinée en août 2010 à Rock Forest, en Estrie.

Un adolescent de 16 ans, appréhendé dans les jours suivant le meurtre de l'octogénaire en août, a notamment été accusé d'enlèvement et de séquestration, mais aucune accusation de meurtre n'a toutefois encore été portée. Le procureur de la Couronne au dossier, Me Claude Robitaille, a indiqué à La Presse Canadienne, avec un long soupir, qu'il attendait encore diverses expertises, dont le rapport d'autopsie, avant de pouvoir porter de nouvelles accusations, plus de cinq mois après le crime.

En entrevue avec La Presse Canadienne, M. Dufour a toutefois assuré que ce rapport serait prêt dans les prochains jours et transmis au coroner, avant d'être remis à la Couronne.

M. Dufour a expliqué que le Laboratoire avait perdu trois de ses cinq pathologistes au cours des dernières années et que les deux qui restaient étaient tout simplement débordés. «Habituellement, un pathologiste fait à peu près 175 autopsies par année. Mes deux pathologistes, en 2009, en ont fait 325 chacun. Ça n'a pas d'allure.»

Il souligne qu'outre l'autopsie, le pathologiste doit aussi rédiger le rapport, qu'il peut être appelé à témoigner devant la Cour, surtout dans les cas de meurtres et qu'il doit aussi faire de la formation.

D'où le retard actuel, plaide-t-il. «Six cent cinquante autopsies à deux, pendant plus d'un an, vous allez comprendre que, le temps qu'ils faisaient cela, ils ne faisaient pas leurs rapports. Donc, les rapports se sont accumulés.»

Bien qu'il n'ait pas voulu élaborer sur le cas précis de Mme Pelletier-Charette, il a avancé l'explication suivante. «Il est probable que, dans ce cas, ils n'ont pas eu le temps de faire le rapport parce qu'il y avait toujours des cadavres qui arrivaient et qu'il fallait faire les autopsies.»

La situation n'étonne nullement le président de l'Association des procureurs aux poursuites criminelles et pénales, Me Christian Leblanc. «Ce n'est pas une surprise. Ç'a toujours été long les expertises au laboratoire de police judiciaire parce qu'ils n'ont pas les ressources nécessaires pour aller plus vite, sortir les rapports dans un délai plus court. Ça vient confirmer ce que l'on avance à notre niveau: la justice criminelle est sous-financée au Québec.»

Mais M. Dufour ajoute qu'il n'y a pas que l'administration de la justice qui s'en trouve ralentie. «C'est sûr qu'on priorise tout ce qui peut être des meurtres et des actes criminels, mais il y a aussi des gens qui attendent pour une succession, pour la Régie des rentes, la Société d'assurance-automobile. Ils ont des délais de prescription de trois ans. Eux aussi entrent dans les priorités. Ça va passer avant quelqu'un qui s'est suicidé.»

Un peu de renfort

Le Laboratoire a finalement réussi à dénicher un troisième pathologiste l'été dernier qui est entré en fonction en décembre et un quatrième doit se joindre au groupe au printemps. Mais le recrutement s'est avéré un défi de défi de taille.

Deux éléments ont en effet compliqué la recherche de candidats, le premier étant la rareté. «Il manque 70 pathologistes au Québec, souligne M. Dufour. Trouver un pathologiste, ce n'est pas difficile, c'est impossible!»

La médecine judiciaire n'est pourtant pas sans attrait et le Laboratoire aurait normalement dû réussir à recruter plus facilement malgré la pénurie. Mais c'est au moment où les postes sont devenus vacants que la deuxième entrave est apparue, raconte M. Dufour.

«Quand on envoyait une offre d'emploi et qu'on faisait un concours et qu'on mettait le salaire et les conditions de travail que l'on offrait, certains candidats ont même téléphoné pour savoir si c'était une farce le salaire qu'on offrait. Nous n'étions pas du tout compétitifs avec les hôpitaux.»

Les pathologistes du Laboratoire, à l'instar des médecins qui travaillent pour la SAAQ ou la CSST, sont en effet rémunérés en vertu d'une convention collective qui est assujettie au même cadre financier que celles des autres employés de l'État. Or, les pathologistes d'hôpitaux, eux, sont payés à partir de l'enveloppe octroyée aux médecins spécialistes, dont la fédération avait réussi à obtenir d'importantes bonifications au-delà du cadre financier en question, ce qui donnait aux hôpitaux un net avantage pour le recrutement.

Le ministère de la Sécurité publique, de qui relève le Laboratoire, a dû consentir une majoration du traitement de ses pathologistes afin d'améliorer le pouvoir d'attraction de l'institution, dont les employés n'auraient pu continuer au même rythme encore longtemps.

Il faudra, selon M. Dufour, de un an et demi à deux ans pour rattraper le retard une fois que le quatrième pathologiste sera en poste, mais il fait valoir que les délais normaux ont toujours été de trois ou quatre mois lorsque des expertises plus poussées sont requises.

«Vous savez, lance Me Leblanc, quand on écoute (l'émission de télévision) CSI et qu'ils prennent un échantillon et, après la pause, ils ont le résultat, ce n'est pas ça dans la vraie vie. On parle de mois.»