Demander à un enfant philippin «si dans son pays il se lave les mains» parce que l'on juge dégoûtante sa façon de manger est discriminatoire, a tranché la Commission des droits de la personne. Cependant, cette remarque isolée d'une surveillante de l'école primaire Lalande, dans l'ouest de Montréal, ne mérite pas que les tribunaux se saisissent de l'affaire, a ajouté la Commission, au grand déplaisir de certains Philippins et d'un groupe qui milite contre le racisme.

L'affaire remonte à avril 2006. La surveillante des dîners oblige Luc, alors âgé de 7 ans, à changer de table. Selon sa mère, Maria Gallardo, il est puni parce que conformément à la façon de faire philippine, dit-elle, il mange avec une cuillère et une fourchette.

La surveillante, qui a confirmé à la Commission avoir demandé au petit «si dans son pays il se lavait les mains», nie que la punition ait eu quoi que ce soit à voir avec le fait que l'enfant soit philippin, mais tout à voir avec le fait qu'il faisait le clown en mangeant, qu'il se gavait littéralement et «que la nourriture pendait de sa bouche».

En mai 2006, la situation se répète, alors que l'enfant mangeait du riz. Or, a dit l'éducatrice devant la Commission des droits de la personne, «il est établi par la Croix-Rouge que le riz est un aliment, parmi d'autres, avec lequel nous devons faire attention».

Dans la décision qui a été rendue publique par la famille du petit Luc hier, la Commission des droits de la personne dit que la remarque de la surveillante des dîners est assimilable «à un motif de discrimination» et que la preuve soumise «est suffisante pour soumettre le litige à un tribunal».

Cependant, la Commission estime «qu'il n'est pas dans l'intérêt public de saisir un tribunal du présent litige», étant d'avis que «les propos tenus (...) constituent un incident isolé dont la portée demeure limitée (...)».

En conférence de presse, quand les journalistes ont demandé à la mère ce qu'elle souhaitait, Maria Gallardo a dit espérer des excuses et une réparation financière. Son fils, dit-elle, «a été traumatisé, il n'a pas mangé pendant une semaine et il a fallu que j'insiste pour qu'il vienne aujourd'hui (à la conférence de presse)». Pour sa part, Brigitte Gauvreau, directrice des communications à la Commission scolaire Marguerite-Bourgeoys, a expliqué au téléphone qu'elle n'a pas à commenter une décision qui a été rendue et qui stipule qu'il n'y a pas lieu de transférer la cause devant les tribunaux.

La Commission des droits de la personne a cependant reconnu que la remarque était raciste, lui soumet-on. La Commission scolaire a-t-elle présenté ses excuses à quelque moment que ce soit? Après avoir beaucoup hésité à répondre, Mme Gauvreau a dit que oui, mais que la chose n'avait pas été consignée par lettre ou autrement et qu'elle n'était pas en mesure de dire à quel moment cela avait été fait.

Dans les communiqués de presse passés qui ont été envoyés aux médias sur le sujet, la Commission Marguerite-Bourgeoys a insisté sur « son plein respect des cultures, pratiques, us et coutumes de chacun», s'est dite «peinée de la tournure et de l'ampleur qu'a prise l'intervention éducative en cause», a dit regretter que la médiation ait été interrompue par la famille mais la présentation d'excuses n'est pas mentionnée.

Le Centre de recherche-action sur les relations raciales (CRARR), qui a déposé la plainte à la Commission des droits de la personne au nom de la mère, se plaint de ce que les membres de la Commission des droits de la personne ne soient, à une exception près, que des Québécois blancs, donc peu représentatifs de la diversité culturelle. «Pour la première fois, il n'y a aucun anglophone, aucun juif, aucun Autochtone...» s'est plaint Fo Niemi, directeur général du CRARR.

Le CRARR sollicite maintenant des «dons en argent pour appuyer les démarches judiciaires» à venir de Mme Gallardo, qui pourrait d'elle-même décider de porter l'affaire au Tribunal des droits de la personne.

Quant à elle, Angelita Ogerio, présidente de la Fédération des associations Canada-Philippines du Québec, attend elle aussi des excuses officielles parce qu'elle n'a pas aimé que par la remarque au petit Luc, la communauté philippine se fasse insulter et se fasse dire «qu'on mangeait comme des cochons».

Et le petit Luc, dans tout ça? Ayant manqué son avant-midi d'école hier pour assister à la conférence de presse, il a dit ceci. Il n'a pas du tout aimé que la surveillante des dîners caricature sa façon de manger devant ses petits copains, «comme si j'étais un petit bébé».

Mais Luc va bien, il a changé d'école et à l'école Sainte-Geneviève qu'il fréquente maintenant, dit-il, «personne n'est raciste avec moi».