Faire redoubler six de ses élèves: c'était la recommandation de Sophie, enseignante de sixième année du primaire à Montréal, l'an dernier. «Ils étaient pratiquement analphabètes», fait-elle valoir. Mais au bal des finissants du primaire, en juin, «ils étaient tous là, triomphants», se souvient-elle. Aucun n'a redoublé. Décision de la direction et des parents.

«Plusieurs élèves passent au secondaire sans avoir les acquis et je ne parle pas de petites faiblesses, dénonce Sophie. Je parle de graves lacunes.» Seules «les moyennes artificiellement gonflées pour ne pas décourager les pauvres ti-pits» sauvent les apparences. «Je ne vois pas comment ces enfants vont s'en sortir dans la jungle du secondaire», s'inquiète l'enseignante, qui a demandé de taire son véritable prénom de peur de représailles.Même constat d'échec chez Colette (prénom fictif), une autre enseignante de sixième année qui a contacté La Presse. «Vous n'avez pas idée des élèves qui vont au secondaire sans avoir les acquis de base, souligne-t-elle. Plusieurs échouent aux examens du ministère de l'Éducation (MELS) de sixième année, en plus d'avoir végété durant l'année, mais se retrouvent tout de même au secondaire régulier l'année d'après!»

Que valent les examens du Ministère?

C'est vrai: un élève qui coule les examens du Ministère peut néanmoins être promu au secondaire régulier. «C'est l'école qui décide de la place des notes à l'épreuve obligatoire dans le résultat final de l'élève», indique Pierre Noël, porte-parole du Ministère. «C'est du cas par cas, ce n'est pas instauré», ajoute Alain Perron, porte-parole de la Commission scolaire de Montréal (CSDM).

«On vit actuellement les conséquences du début de la réforme, où il n'y avait pas d'échec possible», résume Chantal Picotin, responsable des dossiers pédagogiques au Syndicat de l'enseignement de la région de Laval. Depuis leur entrée au primaire, les enfants ont été promus automatiquement sans recevoir suffisamment d'aide pour combler leurs lacunes, explique-t-elle. «Là, ça a changé, mais les profs de sixième année ont aujourd'hui des élèves de niveau du premier cycle, du deuxième cycle et du troisième cycle dans leurs classes, parce qu'ils n'ont jamais redoublé.» À l'école primaire des Quatre-Vents, dont la clientèle est défavorisée, pratiquement la moitié des finissants s'en vont en classes spéciales pour élèves en difficulté au secondaire l'an prochain, selon Mme Picotin.

Seuls 2% des élèves de sixième année redoublent

Le taux de redoublement de la sixième année est minime: à peine 2% dans l'ensemble du Québec, encore moins dans la région de Montréal (voir encadré). Les écoles primaires préfèrent envoyer les élèves faibles dans une panoplie de classes spéciales du secondaire. À la CSDM, plus de 1300 élèves du secondaire y suivent carrément le programme du primaire, en groupes dits de «cheminement particulier».

«Dans toutes nos écoles secondaires, on prévoit des mesures pour aider les jeunes qui seraient en difficulté», souligne Alain Perron de la CSDM. L'école Joseph-François-Perrault offre, par exemple, le «programme 2.5» qui permet de rester en deuxième secondaire un an de plus.

«Les écoles secondaires travaillent aussi en amont», indique-t-il. Dès janvier, les directions d'écoles primaires sont rencontrées pour identifier les besoins des élèves qui entreront au secondaire en septembre suivant.

«Les enseignants de sixième année déterminent vers quel type de classe ils vont diriger les élèves, reconnaît Nathalie Bouchard, conseillère à la Fédération autonome de l'enseignement. Mais ce qu'ils recommandent n'est pas nécessairement retenu par les directions, pour des raisons d'organisation scolaire.»

Redoublement: interdit ou pas?

Même au secondaire régulier, la situation n'est pas rose. «Qu'est-ce que le jeune apprend dès qu'il met les pieds en première secondaire? Que personne ne redouble, tout le monde passe en deuxième secondaire. Résultat: beaucoup de procrastination», observe un enseignant du secondaire comptant 15 ans d'expérience.

Faire redoubler la première année du secondaire, est-ce réellement interdit? «Ce n'est pas permis», confirme Alain Perron de la CSDM, il faut attendre la fin de la deuxième secondaire pour envisager une reprise d'année. Surprise: le Ministère affirme le contraire. Même si ce n'est pas inscrit dans le régime pédagogique, convient Pierre Noël du MELS, «le redoublement de la première secondaire est toujours possible»

Les commissions scolaires de Laval et de la Pointe-de-l'Île n'ont pas répondu aux questions de La Presse.

Le primaire au secondaire

Plusieurs élèves du secondaire suivent le programme du primaire à la CSDM

> Niveau de première et deuxième années du primaire: 86 élèves

> Niveau de troisième et quatrième années du primaire: 468 élèves

> Niveau de cinquième et sixième années du primaire: 767 élèves

Total: 1321 élèves

Note: Élèves du secondaire en classe de cheminement particulier de niveau primaire, CSDM, 2008-2009.

Redoublement en sixième année

Taux de redoublement de la sixième année du primaire

> Ensemble du Québec: 2%

> Montréal: 1,3%

>Laval: 0,5%

> Montérégie: 1,6%

> Lanaudière: 2,3%

> Laurentides: 1,2%

Source: Effectif scolaire du secteur des jeunes en deuxième et troisième années du cycle 3 du primaire en 2007-2008, par région administrative, ministère de l'Éducation, calculs faits par La Presse.