La Cour suprême a déclaré inconstitutionnels les changements apportés à la loi 101 par le gouvernement Landry en 2002 pour mettre fin au phénomène des écoles «passerelles».

Québec dénonçait que des élèves majoritairement allophones profitaient de ces écoles privées non subventionnées pendant une courte période de temps pour pouvoir ensuite faire le saut dans le système scolaire anglophone subventionné.Des familles avaient poursuivi le gouvernement, alléguant que ces amendements étaient contraires à l'article 23 de la Charte canadienne des droits et libertés, qui garantit aux citoyens canadiens de recevoir leur éducation dans la langue officielle de leur choix dans certaines circonstances, dont les cas où ils ont déjà reçu la «majeure partie de leur éducation dans cette langue».

La Cour suprême leur a donné raison en principe, jeudi, dans une décision unanime qui confirme la décision rendue par la Cour d'appel du Québec.

Dans les deux dossiers qu'il était appelé à analyser, le plus haut tribunal du pays a toutefois suspendu la décision pour une période d'un an.

Le juge Louis LeBel, qui a rédigé la décision, a noté que le «choix politique» de Québec d'obliger tous les élèves sauf exceptions à étudier en français dans la province était «valide».

Il a toutefois jugé contraire à la Charte canadienne des droits et libertés la règle ajoutée à la loi 101 en 2002 selon laquelle le gouvernement ne tiendrait pas compte du temps passé par un élève dans une école privée non subventionnée (EPNS) afin de déterminer si les études en anglais correspondaient à la «majeure partie de leur éducation dans cette langue».

«La prohibition absolue de la prise en considération du parcours scolaire dans une EPNS semble trop draconienne», a tranché le juge.

Réactions partagées

Les réactions quant à l'issue de cette cause qui dure depuis sept ans ne se sont pas fait attendre. Le gouvernement du Québec a promis de défendre la «primauté du français». Les partis souverainistes à Québec et à Ottawa ont dénoncé la décision rendue par cette «cour d'une autre nation».

Quant à l'avocat des familles qui ont intenté le recours, Brent Tyler, il n'était pas entièrement satisfait. «Nous sommes heureux en ce sens que la Cour a déclaré la législation invalide. Mais nous sommes un peu préoccupés du fait que maintenant, le dossier doit retourner au ministère de l'Éducation», a-t-il déclaré.

«Ça a pris sept ans pour obtenir ce jugement et maintenant, nous devons repartir à zéro encore.»

La Cour suprême s'est prononcée sur deux dossiers dans cette affaire. Dans le premier, celui de la famille Nguyen, les juges ne se sont pas prononcés sur le droit de ces enfants d'étudier en anglais au Québec, faute de preuve. Ils ont plutôt renvoyé leur dossier - ainsi que celui de la vingtaine d'autres familles qui s'étaient jointes au recours - au gouvernement du Québec pour une nouvelle analyse en fonction des critères à mettre au point dans la prochaine année.

Me Tyler ainsi que les représentants de certains intervenants, comme l'Association canadienne des écoles indépendantes et l'Association des commissions scolaires anglophones du Québec, ont dit souhaiter que le gouvernement du Québec s'assoie maintenant avec eux pour repenser le système.

«Nous espérons que la ministre va démontrer de la bonne foi et gérer cela rapidement», a indiqué Brent Tyler.

Il a précisé que la situation des familles concernées à la base par le litige avait beaucoup changé avec le temps. Certains enfants ont déjà obtenu leur diplôme d'études secondaires et d'autres ont quitté la province, a-t-il souligné.

Stéphane Beaulac, professeur de droit à l'Université de Montréal, ne croit pas que le fait que la Cour suprême ait ainsi renvoyé la balle au gouvernement du Québec créera un cauchemar bureaucratique.

«Le cas par cas existe déjà, a-t-il noté. La délivrance des certificats d'exemption à l'école publique en français, c'est un système qui existe depuis le début de la loi 101. Avec cette décision et quand la modification de l'article 73 de la Charte de la langue française arrivera, on aura des critères supplémentaires pour orienter le pouvoir supplémentaire des fonctionnaires.»

Famille Bindra

Le second dossier, celui de la famille Bindra, est légèrement différent du premier. La fille aînée de la famille avait été déclarée admissible à l'éducation en anglais en vertu d'une autorisation spéciale.

Or, ces autorisations spéciales, accordées par exemple pour des motifs humanitaires, avaient aussi été visées par un changement législatif en 2002. La constitutionnalité de ce changement a été remise en cause par les parents de cette jeune fille, qui souhaitaient aussi envoyer son petit frère à l'école anglaise.

Dans ce cas-ci, les magistrats de la Cour suprême ont donné droit aux demandeurs et permis à leurs enfants d'étudier en anglais au Québec. Le juge Lebel a écrit que l'interdiction touchant ces autorisations spéciales contrevenait à la Charte, parce qu'elles étaient «de nature à empêcher totalement le regroupement des enfants d'une famille dans un même système scolaire».

Dans l'ensemble, le professeur Beaulac a dit croire que la Cour suprême a rendu un jugement modéré. «Le juge LeBel a vraiment pris le temps de bien expliquer, sauf que, malheureusement, l'histoire est reprise trop rapidement par les politiciens, qui déforment cet effort marqué et clair pour ne pas rendre cette décision outrageante, eu égard aux principes généraux de fédéralisme et de protection de la langue française.»