Les cégépiens francophones ont obtenu l'un des plus forts taux d'échec en 10 ans à l'épreuve uniforme de français de 2008-2009. Ils ont été 17,2% à échouer à l'examen, nécessaire pour obtenir leur diplôme d'études collégiales.

Selon certains observateurs, ces résultats ne sont que la pointe de l'iceberg, car les exigences de ce test sont si faibles que plusieurs cancres peuvent tout de même le réussir.

L'épreuve uniforme de français est une dissertation critique de 900 mots que l'élève doit rédiger en quatre heures et demie en «appuyant sa réflexion sur des textes littéraires». Cette année, les cégépiens ont pu utiliser entre autres des extraits du poème Le voyage de Charles Baudelaire, du roman La vie devant soi de Romain Gary ou de la nouvelle Le lit, de Guy de Maupassant.

Selon les données du ministère de l'Éducation (MELS), 82,8% des collégiens ont réussi l'épreuve cette année. La directrice des communications de la Fédération des cégeps, Caroline Tessier, estime que cette performance est «excellente».

«Ce n'est pas si mal, mais on souhaiterait que ce soit plus», a pour sa part déclaré Jean Trudelle, président de la Fédération nationale des enseignantes et des enseignants du Québec (FNEEQ). Depuis 10 ans, seule la cohorte de 2005-2006 avait obtenu un pire résultat (81,1%).

Quarante et un pour cent des cégépiens francophones ne réussissent pas «l'intégration de connaissances littéraires» à ce texte. De plus, 28% d'entre eux ont une maîtrise «insuffisante», «très faible» ou «nulle» de l'orthographe et 17% échouent à la portion «syntaxe et ponctuation».

Mais comme l'explique le ministère de l'Éducation, les élèves peuvent échouer à une portion du test et tout de même réussir l'épreuve. Ceux qui commettent plus de 30 fautes échouent automatiquement.

Trop facile

Selon des intervenants interrogés par La Presse, les jeunes francophones du Québec maîtrisent encore moins bien leur langue que ce que laissent paraître leurs résultats à l'épreuve uniforme.

«Dans cet examen, la section "langue" est corrigée de façon à faire réussir des élèves qui ne devraient pas réussir.», dit Suzanne G. Chartrand, professeure à la faculté des sciences de l'éducation de l'Université Laval.

Mme Chartrand juge ridicule que les cégépiens puissent faire jusqu'à 30 fautes dans un texte de 900 mots et tout de même réussir. «Les examens sont des passoires ! commente-t-elle. On a peur que le taux d'échec soit trop grand. Donc on garde les exigences basses, et ce, tout le long du parcours scolaire. Socialement, c'est inadmissible. Actuellement, les étudiants arrivent avec de graves lacunes à l'université.»

La présidente de l'Alliance de professeurs de Montréal, Nathalie Morel, déplore elle aussi qu'on fasse passer des élèves qui commettent plusieurs fautes. Selon elle, «il faut que le système d'éducation revienne à l'enseignement des connaissances». «Au lieu de se concentrer sur le contenant, il faut revenir au contenu», affirme-t-elle.

La pauvreté de la langue chez les collégiens choque aussi M. Trudelle. «Au cégep, on est censé donner des cours de littérature, explique-t-il. Mais beaucoup d'élèves ne maîtrisent pas la langue ! On doit faire de la syntaxe, de l'orthographe... Les centres d'aide au français n'ont jamais été aussi populaires dans les cégeps.»

Selon M. Trudelle, le gouvernement «a une approche comptable du taux de réussite». «Aujourd'hui, on veut que l'enseignement supérieur soit accessible à tous. Mais certains étudiants ne sont tout simplement pas préparés», croit-il.

La ministre de l'Éducation, Michelle Courchesne, reconnaît que les critères d'évaluation de l'épreuve uniforme de français ne sont pas assez sévères. «Ça n'a pas de sens. C'est inacceptable», dit-elle.

Mme Courchesne envisage de hausser les exigences du test. «Mais si tout le monde coule, on les perd, précise-t-elle. Je veux m'assurer qu'il y ait tout ce qu'il faut pour soutenir les étudiants. Je ne peux pas juste augmenter les exigences.»

La ministre annonce aussi que, dès l'automne 2010, «il y aura de nouvelles exigences à l'écrit» dans les cégeps. «On est là-dedans. On va déboucher sur un plan d'action sur l'amélioration de la langue française dans les cégeps», dit-elle.

Meilleurs à l'oral

Enseignant de français au cégep de Valleyfield depuis 37 ans, Jacques Lecavalier croit que si les élèves commettent plus de fautes de français qu'avant, c'est qu'ils ont un «plus grand souci de l'expression».

«Ils sont nettement meilleurs à l'oral, assure-t-il. Ils produisent donc des écrits plus risqués, car ils veulent faire passer leur message. Quand j'étais jeune, il valait mieux ne pas écrire quelque chose plutôt que de l'écrire mal. Aujourd'hui, les jeunes veulent dire le fond de leur pensée, même si ce n'est pas parfaitement écrit. Mais ça, ce n'est pas valorisé.»

Chantale Gamache offre des cours d'appoint aux étudiants de l'Université de Montréal depuis près de 30 ans. Elle hésite à critiquer l'épreuve uniforme de français au collégial. «Ce que je vois, c'est une évolution de la clientèle. Aujourd'hui, beaucoup d'étudiants viennent de l'extérieur du Québec. Leur langue est modifiée par leurs origines, dit-elle. Ça influe peut-être sur les résultats.»

Responsable du soutien pédagogique pour l'épreuve de français au cégep du Vieux-Montréal, Micheline Greffe refuse carrément d'attaquer l'examen. «De toute façon, dans la population en général, les gens n'écrivent pas sans faute. Même des journalistes font des erreurs! Au moins, l'épreuve a permis de baliser l'enseignement du français au collégial», dit-elle.

- Avec la collaboration de Rima Elkouri