Marie-France Levac est institutrice depuis 14 ans. Elle aime son métier. Pourtant, elle songe à changer de profession. Et elle n'est pas la seule. Une étude de l'École nationale d'administration publique (ENAP), réalisée auprès de 2400 enseignants, montre que le quart d'entre eux pensent à quitter la profession parce qu'ils sont vidés. Épuisés.

Mme Levac enseigne en quatrième année dans une école ordinaire d'un quartier normal de Montréal. Pas particulièrement défavorisé. L'an dernier, 8 des 29 élèves de sa classe avaient des problèmes d'apprentissage. Deux d'entre eux auraient normalement dû se retrouver en classe particulière. La tâche était donc très lourde et souvent crève-coeur.«Chaque année, je me demande si je vais être capable de finir l'année. On ne sait plus ce que c'est qu'un élève normal tellement on a d'élèves en difficulté.» L'enseignante de 40 ans profite actuellement d'un congé qu'elle s'est elle-même payé. Et elle réfléchit à son avenir. «Je veux étudier les possibilités que j'ai de faire autre chose.»

L'histoire de Mme Levac est unique, mais elle n'est pas un cas particulier. Une étude réalisée par Nathalie Houlfort, professeure à l'ENAP, montre qu'un enseignant sur cinq travaille chaque jour dans un état de détresse psychologique, soit près du double de ce que l'on trouve dans la population en général. Près de 60% des enseignants éprouvent des symptômes d'épuisement professionnel au moins une fois par mois, et 20% en font l'expérience au moins une fois par semaine. Résultat: un instituteur sur quatre songe à quitter l'enseignement dans les cinq ans à venir.

Pourquoi? Plusieurs facteurs sont en cause, souligne Pierre St-Germain, président de la Fédération autonome de l'enseignement. «Il y a d'abord eu une réforme mal foutue qui a laissé des séquelles importantes chez les enseignants», dit-il.

L'intégration des élèves en difficulté a aussi fait peser un très lourd poids sur les épaules des enseignants. Marie-France Levac peut en témoigner. «On nous dit au début de l'année: tu as deux suivis en orthopédagogie. Qui choisir? J'ai eu des problèmes de conscience avec l'intégration.»

La gestion de classe pose ainsi d'importants problèmes aux enseignants, souligne Nathalie Houlfort. «Le manque de respect des élèves, le manque de motivation affecte les profs», dit-elle. Le manque d'autonomie atteint aussi leur moral. «On remet toujours nos compétences en question. Le système cultive notre sentiment d'incompétence. Il y a un regard très méprisant de la part de ceux qui pensent l'éducation face à ceux qui la pratiquent», témoigne Marie-France Levac.

Cette étude paraît juste au moment où commencent les négociations pour le renouvellement des conventions collectives des enseignants. «L'étude tombe à point nommé, je le reconnais», dit Pierre St-Germain. D'autant plus que les demandes patronales ne feront rien pour améliorer les choses, dit-il. «Les offres patronales vont complètement à contresens de ce qu'on trouve dans cette étude. Si ça passe, on s'en va vers un mur. On va empirer la situation.»

L'épuisement professionnel génère des coûts importants: une centaine de millions de dollars par an pour les commissions scolaires à l'échelle du Québec. Pourtant, les solutions sont simples, croit le président de la FAE: réduire le nombre d'élèves dans les classes, embaucher plus de professionnels pour épauler les enseignants avec les élèves en difficulté, redonner aux enseignants leur autonomie professionnelle, mettre définitivement la hache dans la réforme. «On s'attend à ce que le gouvernement bouge.»