C'est une école un peu particulière. Il y a un local pour ranger les fauteuils roulants à la fin de la journée. Deux infirmières à temps plein. Certains élèves se nourrissent le midi par un tuyau de gavage. Liam McCarthy, 11 ans, est en sixième année. Il n'a aucun problème de langage, aucun retard intellectuel et il marche sur ses deux jambes. En fait, c'est lui qui pousse les fauteuils roulants des autres élèves de sa classe.

Liam fait partie de la vingtaine d'élèves en parfaite santé qui sont admis chaque année à l'école du centre Mackay, destinée aux élèves handicapés, qui compte près de 150 élèves. Depuis plus de 35 ans, dans cette école, on pratique l'intégration. Mais à l'envers. Ce sont les élèves du régulier qui s'adaptent à la vie des élèves handicapés. Une formule unique au Canada, dont les résultats sont impressionnants.

C'est la mère de Liam qui a d'abord entendu parler de l'école du centre Mackay. Elle est venue la visiter avec son fils. «C'était une nouvelle expérience pour moi. J'ai trouvé ça intéressant», dit l'enfant. Comme tous les élèves issus du cours régulier, Liam est passé par le processus de sélection. Car il y a, chaque année, bien plus de demandes que de places disponibles à Mackay, explique la directrice, Patrizia Ciccarelli.

Attirés par les rapports professeurs-élèves très bas et les services offerts par l'école - piscine, infirmière à temps plein, sorties hors de la ville -, des parents issus de la très lointaine banlieue sont souvent intéressés à ce que leur enfant fréquente l'école. Certains enfants font jusqu'à deux heures d'autobus scolaire pour se rendre à Mackay.

«Nous cherchons des enfants qui sont autonomes dans leurs apprentissages, qui ont une sensibilité, de la compassion. Et qui n'ont pas eux-mêmes de problèmes d'apprentissage», explique Mme Ciccarelli.

Liam a donc passé quelques jours d'essai à l'école du centre Mackay. Il a adoré et a été choisi. Normalement, les élèves ne restent qu'un an à Mackay. À sa demande, Liam y a passé une seconde année. «C'est très différent des autres écoles et c'est beaucoup plus amusant», dit-il. Si l'école offrait un cours secondaire, Liam voudrait probablement y rester, dit son père, Don McCarthy.

M. McCarthy ne voit que du positif dans ces deux années passées à Mackay. Sur le plan pédagogique, non seulement son fils n'accuse aucun retard dans les matières enseignées, il est même en avance en français. «Les classes sont réduites. L'enseignement est presque individualisé, observe-t-il. Et ils font des apprentissages qui vont leur servir toute leur vie.»

Liam et Bradley

Anna Forte enseigne depuis quatre ans à l'école. Enseigner ici, c'est un défi. Les profs doivent travailler main dans la main avec une batterie de thérapeutes, selon les handicaps des élèves. Gérer la consommation de médicaments avec les infirmières de l'école. Et enseigner à des clientèles aux capacités d'apprentissage très différentes.

Pour Mme Forte, ça ne pose pas de problème. Son cours de mathématiques ou de français commence par un apprentissage de base, que les enfants approfondissent ensuite à leur rythme en groupes réduits, formés selon le degré de leurs capacités d'apprentissage. «C'est la raison pour laquelle les enfants que nous admettons ici doivent pouvoir être autonomes», dit-elle.

En deux ans, Liam a côtoyé beaucoup d'enfants comme son ami Bradley Heaven, qui se déplace en fauteuil roulant et communique grâce à un écran Dynavox fixé à son fauteuil. En bougeant la tête, il réussit à former des lettres et des phrases sur son écran. Il peut même aller sur le web, échanger sur MSN avec ses amis.

Les enfants issus du régulier aident énormément leurs amis handicapés dans les classes. Ils leur font la lecture, poussent leur fauteuil, tiennent les portes ouvertes. «Ici, nos enfants apprennent l'empathie, la compassion. Ils apprennent que les enfants handicapés ont beau être en fauteuil roulant, ce sont des enfants comme eux», dit Nancy Boissonneault, dont les deux enfants ont fréquenté l'école. Lors de son passage, en quatrième année, sa fille a appris le langage des signes pour communiquer avec une amie sourde.

Pour les enfants handicapés, les enfants issus du régulier «sont des modèles», explique Patrizia Ciccarelli. «Les enfants handicapés ont l'occasion de voir le bon, le moins bon et le laid. Ils voient des enfants gentils et d'autres un peu moins gentils.» Et pour le personnel de l'école, «les enfants non handicapés nous donnent un repère, une mesure de référence: de quoi a l'air un enfant de cet âge qui n'est pas handicapé?» ajoute-t-elle.

Terry Gandell travaille à l'école du centre Mackay presque depuis le tout début du programme d'intégration à l'envers, qui a été mis sur pied à la fin des années 70 par Karen Hullme. Une visionnaire, dit Mme Gandell, qui a compris bien avant que l'intégration soit un concept à la mode à quel point c'était important pour les enfants handicapés. «L'intégration à l'envers, c'est un excellent exemple d'inclusion de la clientèle handicapée», croit-elle. Pourtant, aucune autre commission scolaire du Québec, ni même du Canada, n'a repris cette formule.

Au début de sa carrière, Mme Gandell enseignait en prématernelle. Dans ces classes, à moins que l'enfant ne soit en fauteuil roulant, il est très difficile de faire la différence entre les enfants handicapés et les autres. «Les enfants jouent ensemble. Et la question du handicap est abordée très naturellement. Pourquoi tu ne peux pas bouger tes jambes? Parce que mes muscles ne fonctionnent pas. C'est tout. Et ensuite, on passe à autre chose. On recommence à jouer. Le contact se fait sans le moindre heurt.»