L'intégration des élèves en difficulté dans les classes régulières a mené à des situations «inhumaines» pour certains enseignants, croit la ministre de l'Éducation, Michèle Courchesne, qui veut revoir dans son ensemble la politique d'intégration. Au terme de cette réflexion, plus d'enfants se retrouveront dans des classes spécialisées, dit la ministre.

Au cours des derniers mois, la ministre s'est rendue dans sept régions du Québec. Partout, elle a visité des écoles, rencontré des enseignants. Et partout, le constat est le même : l'intégration, telle qu'appliquée actuellement, fonctionne mal. «Je vais le dire : quelque part, pour certains enseignants, c'est inhumain», estime la ministre, qui a accordé une entrevue à La Presse.

«Je suis très préoccupée. Ce qu'on demande aux enseignants, c'est énorme.»

Dans certains cas, dit-elle, les pathologies des enfants sont tellement envahissantes qu'elles nuisent aux apprentissages des autres élèves. «Quand on me parle d'une classe où il y a des enfants avec des troubles de comportement importants, ou alors le syndrome Gilles de la Tourette, qu'on est obligés de faire sortir tous les enfants pour que l'enfant puisse retrouver son calme, ça me questionne. Je trouve qu'on va trop loin.»

La ministre compte donc revoir l'ensemble du processus. Du «codage» des enfants - pour que les commissions scolaires reçoivent du financement, les enfants doivent recevoir une «cote» - jusqu'à la décision de les inclure ou non dans les classes régulières. Mais à terme, il y aura plus d'enfants en classes spéciales ? «Oui», répond fermement Mme Courchesne. La ministre dit penser à des formules hybrides, qui n'existent pas dans le réseau actuellement. «Personne ne dit : c'est fini, on retourne aux classes spéciales pour tous, explique la ministre. Mais il y a des enfants qui pourraient avoir des participations variables en classe régulière. Là, actuellement, c'est tout ou rien. On pourrait peut-être les intégrer pour certaines matières ou pour un certain nombre de demi-journées dans la semaine.»

Dans ce grand chambardement, la ministre se demande aussi s'il faut revoir la façon dont sont évalués les enfants. «Le codage des enfants, personnellement, j'ai un malaise avec ça. Est-ce qu'il faut changer ça ? Et si oui, comment ?»

Certaines commissions scolaires répartissent encore les fonds alloués aux élèves en difficultés au prorata du nombre d'élèves, déplore-t-elle. «Il faut tenir compte des besoins de chaque école. Certaines ont besoin de beaucoup plus de ressources que d'autres. Il faut y aller école par école, classe par classe.»

Les commissions scolaires devront également se rapprocher du réseau de la santé, dit Michèle Courchesne, puisqu'il est «impossible» pour les enseignants de connaître à fond toutes les pathologies médicales qui affectent leurs élèves. Les établissements du réseau de la santé devront donc être mis à contribution pour de la formation et des services à ces élèves.

La ministre est bien consciente qu'en proposant de tels changements, elle s'avance en terrain miné. «Est-ce qu'on peut se reposer des questions sur l'intégration, même si c'est extrêmement délicat ? Est-ce que tous les enfants doivent être intégrés ? J'y vais avec prudence et délicatesse parce que je ne veux heurter personne, dit-elle. Et, bien sûr, il y a des droits à respecter.» Chose certaine, dans ce dossier, «ça va être très difficile d'en arriver à des consensus.»

Finalement, le Québec a-t-il erré avec cette politique d'intégration des élèves en difficulté ? «Ça m'interpelle beaucoup. C'est un peu comme le renouveau pédagogique. Il faut apporter de sérieux correctifs, dit la ministre. L'intégration, ça ne peut pas se faire au détriment de la réussite des autres élèves.»