Comme ailleurs dans le monde, la Chine déploie ses tentacules au Québec. En plus d'ouvrir un institut Confucius à Montréal, elle offre quasi gratuitement les services d'enseignants de mandarin aux écoles qui en font la demande. Mais cet échange ne fait pas toujours l'unanimité.

Il est presque 15h quand des élèves de quatrième année commencent à arriver par petites grappes à leur cours de mandarin au collège Bourget, à Rigaud. Les plus intrépides se ruent pour dire «Ni hao» à leur enseignante. Les autres se réfugient sagement derrière leurs pupitres.

 

Le brouhaha se dissipe, l'enseignante, Mu Xiao Bo, entame les choses sérieuses dans un mélange de franglais auquel les élèves semblent habitués. «How to say: «Je suis très content de te voir?» demande-t-elle. Oui, Wo hen gaoxìng jiàn dào ni.»

Enjouée et avenante, Mu Xiao Bo, 24 ans, est une sorte d'ambassadrice chinoise nouveau genre. Elle fait partie d'un nombre grandissant de professeurs dits «invités» ou «bénévoles» qui sont choisis, formés et payés par la Chine pour enseigner la langue et la culture chinoises dans les écoles de pays étrangers.

Mu Xiao Bo aurait pu atterrir au Mexique ou au Zimbabwe; elle s'est retrouvée dans le pittoresque village de Rigaud, à l'est de Montréal, en septembre 2009. Elle y donne des cours de langue et organise des activités parascolaires pour une centaine d'élèves par semaine.

Depuis 2007, une quinzaine d'écoles privées du Québec ont accueilli des enseignants fournis par Hanban, un organisme lié au ministère de l'Éducation chinois. Dans le lot, on trouve notamment le collège Notre-Dame-de-l'Assomption ou le Collège de Montréal.

En vertu d'un accord avec la Fédération des établissements d'enseignement privés (FEEP), Hanban paie les frais de formation, de déplacement et de subsistance des enseignants (800$ par mois), tandis que les écoles québécoises doivent fournir le logement, des assurances et, parfois, une petite allocation mensuelle (de 400$ à 500$).

Plusieurs écoles, dont celles de la commission scolaire Marguerite-Bourgeoys - les premières écoles publiques du Québec à avoir signé avec Hanban une entente de trois ans qui a débuté le 1er mai dernier -, se contentent de fournir le logement.

Michèle Laroche, qui pilote le projet pour la FEEP et pour le collège Bourget, n'a que de bons mots pour le programme et l'enseignante Mu Xiao Bo: «C'est une soie. Elle est débrouillarde, elle a de l'entregent et elle trouve qu'elle n'est pas assez occupée!»

Bernard Héroux, directeur des services éducatifs du collège Sainte-Anne, à Lachine, offre toutefois un tout autre son de cloche. Après avoir accueilli une enseignante chinoise pendant une année scolaire, son collège a décidé de ne pas renouveler l'expérience.

Les raisons? La prof en question parlait peu le français et avait une connaissance trop limitée du milieu scolaire québécois. «Et puis il ne faut pas se faire de cachette, ajoute Bernard Héroux. Vous connaissez les raisons du gouvernement chinois d'investir comme ça. C'est l'impérialisme chinois qui s'étend un peu partout dans le monde.»

Concrètement, Bernard Héroux explique que nombre de sujets étaient impossibles à aborder avec l'enseignante. «Il était difficile de parler avec elle du système communiste en place en Chine, de parler des dirigeants, de parler de l'économie. On sentait qu'il y avait un filtre. Elle ne pouvait pas tout dire.»

Du coup, le collège a préféré se passer des services «gratuits» d'Hanban et emploie désormais à ses propres frais une enseignante québécoise d'origine chinoise pour donner des cours de mandarin. «Les discussions sont plus faciles. Elle est québécoise, elle peut parler plus ouvertement», précise Héroux.

Le Collège de Montréal n'a pas non plus renouvelé sa participation au programme, mais son directeur, Jacques Giguère, n'a pas voulu expliquer les raisons à La Presse.

À Rigaud, Michèle Laroche reconnaît sans difficulté que, pour les Chinois, le programme est une «opération de visibilité, de charme, pour qu'on les comprenne mieux». Elle estime que les 1200 élèves du collège Bourget devraient avoir une bien meilleure image de la Chine grâce à ce programme.

Quant aux questions politiques, elle préfère les laisser de côté. «En fait, on laisse l'enseignante s'organiser avec cela», soutient-elle.

Mu Xiao Bo précise qu'elle ne touche pas à la politique en classe. Et que fait-elle si un élève l'interroge, par exemple, sur les événements sanglants de la place Tiananmen, en 1989? «Euh, désolée, je ne sais rien de ça. Je suis née en 1986, vous savez», répond-elle avec un rire gêné. Elle fait une pause puis ajoute: «Je souhaite juste que les élèves en sachent plus sur la Chine parce que, vous savez, il est possible que dans le futur, la Chine soit le pays le plus important et le plus puissant au monde.»

EN CHIFFRES

 

30 MILLIONS

Le nombre de personnes qui apprenaient le mandarin comme langue seconde en 2007.

100 MILLIONS

Le nombre de personnes qui devraient apprendre le mandarin comme langue seconde en 2020.

300

Nombre d'enseignants de mandarin fournis par la Chine en Amérique du Nord en 2009.

3100

Nombre d'enseignants de mandarin fournis par la Chine dans le monde en 2009.