Tommy trottine derrière sa mère, agrippé à son manteau. C'est la nuit, il fait froid, et elle accélère en vociférant: «Lâche-moi, mais lâche-moi!» Cinq secondes plus tard, elle suspend son petit par les pieds au-dessus des voitures qui rugissent sous un viaduc.

Oui, le scénariste Claude Lalonde -qui a travaillé pendant près de 20 ans comme éducateur- s'est inspiré de faits réels pour écrire cette scène, l'un des rares flash-back du film 101/2. «C'est exactement ce qui est arrivé à un enfant, assure le réalisateur du film, Daniel Grou, mieux connu sous le nom de Podz. Mais ce que montre le film, ce n'est vraiment rien. Ce que plusieurs enfants vivent est 1000 fois plus grave.»

Le réalisateur le sait car, tout comme Claude Legault (qui joue l'éducateur de Tommy), il a passé une journée entière à Ahuntsic avec les garçons du centre de réadaptation Dominique-Savio, où il a vécu un petit choc. «C'est en sortant, quand je suis arrivé au bureau à la fin de la journée, que ça m'est rentré dedans, dit-il. C'était tellement rough qu'il a fallu que je décante.»

«Je ne m'imaginais pas que c'était à ce point difficile d'aller chercher les enfants, qu'ils avaient à ce point la tête bourrée d'horreurs», renchérit Claude Legault.

Un moment a particulièrement ébranlé le comédien. «Quand on les couchait, raconte-t-il, je voyais dans les yeux de certains qu'ils ne voulaient pas se retrouver seuls dans leur chambre. Ils étaient comme habités par quelque chose. Le soir, la nuit, ils vivent beaucoup d'angoisse. Chez eux, c'était souvent le moment où leurs parents buvaient, les agressaient ou les battaient.»

«Les éducateurs m'avaient prévenu que ça éclaterait après le souper, poursuit-il. Souvent, les enfants ont le réflexe de saboter leur journée quand ça s'est trop bien passé. Leur seul moyen d'entrer en relation, c'est de chercher le conflit.»

Daniel Grou-Podz et Claude Legault ont beau admirer les éducateurs, jamais ils ne prendraient leur place. «Les enfants te frappent, te crachent dessus, te tirent les cheveux, t'insultent, te cherchent. Je n'aurais jamais la patience. J'aurais peur d'en rentrer un dans le mur. Et tout ça pour en sauver une infime partie. Ça finirait par avoir ma peau!» s'exclame Claude Legault.

Les éducateurs sont des héros oubliés, dit-il. «Ils sauvent des enfants du feu chaque semaine mais, contrairement aux pompiers, ils ne reçoivent pas de médaille.»

Podz se défend tout de même d'avoir voulu faire passer un message. «Je voulais simplement lever le voile sur leur univers, dit-il. Dire aux gens: regardez ce qui se passe dans votre société. On trouve aussi des enfants comme ça. Et malheureusement, des Tommy, il y en aurait assez pour faire une télésérie.»