Deux voitures parcourent telle distance à telle vitesse. En combien de temps franchiront-elles le fil d'arrivée?

«Mais monsieur, de quelle couleur sont les voitures, au juste?»

Marie-Anne* se souvient avec amusement des questions de l'élève autiste qu'elle a eu dans sa classe durant tout son secondaire, dans une école privée. Il ne dérangeait ni les élèves ni les professeurs: au contraire, il avait le don, dit-elle, de dérider la classe au bon moment par ses questions «pas rapport». Mais il n'y en avait pas plusieurs. Il n'y en avait qu'un.

L'ironie de l'affaire, c'est que le jeune autiste - que suivaient de près des spécialistes payés par les parents - a décroché son diplôme sans que jamais l'école ne gonfle ses notes. Et elle, Marie-Anne, qui avait des problèmes d'apprentissage plus «ordinaires» - doublés de problèmes de santé -, a fini par échouer en troisième secondaire et par être expulsée. Tout ça, dit-elle, «alors que mes parents payaient 4000$ par an pour l'inscription, en plus des séances de récupération. Il fallait payer, payer et payer, et jamais je n'ai senti que mon collège avait vraiment à coeur de m'aider».

Du privé au public

Rose, elle, a aujourd'hui 40 ans. Le débat actuel sur l'intégration des élèves en difficulté a aussi une résonance toute particulière pour elle. Au primaire, elle a changé d'école cinq fois. Ses parents ne l'aidaient jamais à faire ses devoirs. En plus, avoue-t-elle, elle n'était pas des plus zélées. «Heureusement, j'avais une personnalité attachante et rieuse et, au primaire, je finissais souvent par être le chouchou de l'enseignante!»

Au secondaire, ça s'est gâté. À son test d'admission à l'école privée, quand on lui a demandé de brosser le portrait de sa meilleure amie, elle s'est mise à dessiner. Autour d'elle, personne ne dessinait. Elle s'en est rendu compte, et la surveillante l'a gentiment renseignée: par «portrait», on n'entendait pas «dessin», mais «description». En mots.

Elle a été admise, à son grand dam, et elle conserve à ce jour un horrible souvenir de ces enseignants pas pédagogues pour deux sous qui rendaient les examens en annonçant à voix haute les notes de chacune. «Mon père, sans méchanceté, m'avait dit que, dans la vie, il fallait une première, mais aussi une dernière. J'étais celle-là, et il me fallait toute une carapace pour essuyer échec après échec. Je me souviens même d'avoir eu 18% à un examen!»

On l'a fait redoubler. Elle a fini par aller à l'école publique où, du jour au lendemain, elle s'est mise à récolter des 80%. «C'était tellement plus facile!»

Un déménagement subséquent aux États-Unis lui a finalement fait goûter à la «classe spéciale», dans le cours d'anglais. L'horreur. «Je regardais autour de moi et je ne voyais que des abrutis! Je me suis mise à pleurer. Je me demandais vraiment ce que je faisais là!»

Sa conclusion? «Je pense tout simplement qu'il faut éviter de mettre des enfants dans des groupes beaucoup plus forts qu'eux ou, à l'inverse, dans des groupes qui les tirent vers le bas.»

* Les prénoms sont fictifs