Les cibles de réussite que le ministère de l'Éducation impose depuis l'automne à toutes les commissions scolaires du Québec troublent les enseignants aux quatre coins de la province, a constaté La Presse. D'ici à 2020, toutes les régions du Québec devront hausser leur taux de réussite à des degrés variables.

Plusieurs enseignants disent subir des pressions afin d'augmenter artificiellement les notes des élèves pour atteindre ces objectifs. Dans plusieurs écoles, la colère gronde.

«Mon directeur est venu me voir et m'a dit que j'étais trop rigoureux. Que mes élèves avaient des résultats en deçà des moyennes de la commission scolaire. On ne me l'a pas dit directement, mais il s'agit d'une invitation à diminuer mes critères», dénonce un enseignant d'une école de la banlieue sud de Montréal.

«J'avais des élèves très faibles dans mon groupe. J'ai voulu rencontrer le conseiller pédagogique pour savoir quoi faire. On m'a suggéré de diminuer mes exigences pour atteindre les moyennes régionales», déplore une enseignante de mathématiques au secondaire de la région de Québec.

En 2009, le gouvernement a adopté la loi 88 qui oblige les commissions scolaires à signer des «conventions de partenariat» avec le ministère de l'Éducation (MELS). Dans ces contrats, les commissions scolaires s'engagent à faire augmenter leurs taux de réussite dans des proportions variables d'ici à 2020. Par exemple, la Commission scolaire de Montréal (CSDM) doit faire passer son taux de diplomation de 57% à 70%.

Les commissions scolaires ont presque toutes déjà signé leur entente avec le MELS et sont actuellement en train de conclure des «conventions de gestion» avec les écoles de leur territoire pour les amener à atteindre les cibles de réussite.

Mais ces ententes soulèvent l'inquiétude chez les enseignants. Plusieurs sont alarmés de voir que le gouvernement favorise maintenant «la gestion par résultats», ce qui entraîne selon eux des pressions indues pour hausser les notes.

Un enseignant du secondaire de la Montérégie explique que son directeur est venu le voir et a comparé les résultats de ses élèves à ceux de sa commission scolaire. «Il m'a demandé d'expliquer pourquoi mes résultats étaient plus bas. Ça n'a pas de bon sens!» dit-il.

Au Syndicat de l'enseignement de Champlain, à Longueuil, la grogne est telle qu'une lettre de dissidence est distribuée dans les conseils d'établissement pour les convaincre de ne pas signer les conventions de gestion. «Nous ne voulons pas d'une école obsédée par les notes ou les chiffres, nous voulons une école où l'on donne à chaque élève les moyens de réussir», peut-on lire dans la lettre.

«Avec la loi 88, on vise des chiffres. On calcule tout. Cette vision mathématique de la réussite ne passe tout simplement pas chez les enseignants», constate la présidente de la Fédération des syndicats de l'enseignement (FSE), Manon Bernard, qui dit être inondée de plaintes d'enseignants.

Deux directeurs de plus

À la Commission scolaire des Laurentides, les enseignants ont été bouleversés en mettant la main sur un document exposant les modifications apportées par la loi 88. Le document explique que la nouvelle «gestion axée sur les résultats» exige le «monitorage continu des données de réussite».

Pour colliger les résultats des élèves, la Commission scolaire des Laurentides a créé deux postes temporaires de directeurs. La directrice des communications, Marie-Josée Laurion, explique que son établissement ne disposait pas d'outils pour mesurer les résultats des élèves. C'est pourquoi deux directeurs sont temporairement ajoutés.

«C'est ridicule! On met encore plus de bureaucratie pour gérer les résultats des élèves. Mais on ne met pas plus de ressources pour aider les enseignants!» dénonce une enseignante du primaire des Laurentides.

Pour suivre les résultats des élèves, plus de 50 commissions scolaires ont déjà acheté le logiciel LUMIX. Ces tableaux sont souvent utilisés pour comparer les moyennes des commissions scolaires à celles de chaque école. Quand une école présente un taux de réussite inférieur à la moyenne, le résultat apparaît en rouge.

«C'est une phobie des chiffres! On se demande si le gouvernement veut augmenter réellement la performance des jeunes, ou juste présenter de belles statistiques», dit le président du Syndicat de l'enseignement de la région de Québec, Denis Simard. «On amène une vision comptable de l'enseignement. On demande de faire plus, mais on n'augmente pas les ressources. On ajoute de la pression sur les épaules des profs», dénonce Mme Bernard.

La présidente de la CSDM, Diane De Courcy, assure quant à elle que les cibles de réussite ne soulèvent pas la grogne sur son territoire. «On avait déjà établi des objectifs avec notre Plan réussir. Pour ce plan, on avait beaucoup parlé aux enseignants. Tous veulent nous aider. Et on veut les aider. Parce que c'est clair que la réussite ne peut pas reposer sur les seules épaules des profs», soutient Mme De Courcy.

La ministre défend les cibles

Lundi dernier, la ministre de l'Éducation, Line Beauchamp, a défendu les cibles imposées par son ministère. Elle a assuré qu'elle ne pense pas que les notes seront artificiellement gonflées puisqu'il existe des régimes pédagogiques et des examens ministériels standards. «Oui, mais il reste que ce sont les profs qui corrigent. Les pressions exercées sur les profs ne seront pas sans conséquence», affirme un enseignant de la Rive-Sud.

«On est d'accord pour avoir des cibles nationales vers lesquelles tout le monde tend. Mais là, il y a trop de pression. Le danger, c'est qu'on parvienne à atteindre les cibles. Mais que les notes des élèves ne veulent plus rien dire», déplore Mme Bernard.