«Les Québécois sont déjà de plus en plus bilingues. On peut s'adapter à une augmentation graduelle, mais vouloir l'accélérer, c'est fou!»

Christian Dufour, auteur de l'essai Les Québécois et l'anglais, le retour du mouton, voit d'un très mauvais oeil la récente promesse de Jean Charest.

«Il ne faut pas être naïf, il y aura des conséquences, prédit le chercheur. Si tous les Québécois deviennent très bilingues, ils achèteront plus de disques, de journaux et de livres en anglais. Ça va créer une baisse d'intérêt pour nos produits culturels, déjà très subventionnés.»

Et ce n'est pas le seul problème, estime M. Dufour, qui travaille à l'École nationale d'administration publique. «Si tous les francophones parlent anglais, qu'est-ce qui motivera les immigrants ou les anglophones à apprendre notre langue?»

«C'est une régression identitaire, dit-il. C'est dire que celui qui ne parle pas cette langue n'est pas fonctionnel, comme si être francophone ne suffisait plus, que l'anglais était une nécessité pour exister.»

Pour M. Dufour, l'anglais intensif est inutile. «Avec l'internet, on est déjà de plus en plus pénétrés par l'anglais. Ça fait déjà partie de nous.»

«C'est correct de se débrouiller en anglais, nuance-t-il. Mais, un peu comme dans l'affichage, il ne faut pas que les deux langues soient sur le même pied.» D'autant plus que le vrai problème, c'est le français, plaide le chercheur. «Je donne des cours à la maîtrise et le niveau des étudiants est lamentable.»

Il y a deux ans et demi, Jean Charest lui-même en convenait, rappelle M. Dufour. Sous prétexte que le français à l'école était une chose sacrée, le premier ministre avait alors rejeté une proposition des jeunes libéraux, qui voulaient justement instaurer une 6e année bilingue.

«Puisque les gens ont soif d'anglais, à court terme, son revirement est très habile politiquement, estime M. Dufour. À long terme, par contre, c'est consternant.»

Et pourquoi cette soif, d'après lui? «Plusieurs parents ne croient plus à un avenir en français pour leurs enfants, dit-il. C'est abdiquer quelque chose de fondamental.»

Plutôt favorable à l'anglais intensif, le président de la Société Saint-Jean-Baptiste se montre quand même inquiet lui aussi. Il est exagéré de l'imposer à tous les élèves, explique Mario Beaulieu, car certains n'ont pas la bosse des langues. Et certains autres pourraient préférer miser sur l'espagnol, langue également fort utile dans les Amériques.

«Il faut laisser le choix aux gens, conclut-il. Sinon, je ne vois pas pourquoi les élèves anglophones ne seraient pas pareillement obligés de faire la moitié de leur 6e année en français.»