Le nombre de jeunes privés de liberté a chuté de façon spectaculaire dans les centres de réadaptation de la DPJ. La durée de leurs rares séjours en encadrement intensif aussi. D'abord déboussolés, leurs éducateurs s'ajustent. À Laval, des règles très strictes les aident à affronter un quotidien tissé d'imprévus. Depuis quelques mois, on y teste par ailleurs une nouvelle approche susceptible de s'étendre à la grandeur du Québec. Voici le deuxième et dernier volet de notre série.

Avant Noël, les semelles de Julie ont fondu. À force de traîner ou d'immobiliser des adolescentes en furie dans les cellules d'isolement, la jeune femme a vécu des tas de choses, vraiment. Mais sauter dans les flammes, c'était une première.

«Une fois enfermée, Stéphanie a mis le feu à son chandail et l'a bouchonné sous la porte, explique-t-elle. On n'en revenait pas. Elle avait caché un briquet dans son vagin!»

Il ne faut pas aimer la routine pour travailler en encadrement intensif. En général, les éducateurs ignorent ce que leur réservent les cinq prochaines minutes. «Chaque fois, on se dit qu'on a tout vu et il arrive toujours autre chose!» s'exclame Annick.

Depuis trois ans, soit depuis que son unité, La Passerelle, accueille les cas extrêmes, l'éducatrice et ses collègues ne cessent de s'ajuster. L'armoire recèle désormais quelques vêtements de nuit. «Après une descente, des filles nous sont déjà arrivées d'un bar de danseuses en string et en talons hauts, sans rien d'autre», explique Annick.

Une autre adolescente a été arrêtée à l'aéroport en bikini et en paréo, raconte-t-elle aussi. «Elle cachait de la drogue. Il a fallu qu'elle comparaisse comme ça devant le juge.»

Le matin, les éducateurs découvrent souvent plusieurs nouvelles pensionnaires d'un coup. Ils ont aidé une adolescente trisomique qui ne voulait plus les quitter. Une nouvelle maman qui recevait quatre fois par jour la visite de son copain et de son bébé de 6 mois afin qu'elle puisse l'allaiter. Une jeune Inuit d'Inukjuak, totalement dépaysée, qui n'arrivait pas à dire autre chose que «I will kill you» en brandissant le poing.

Ils ont aussi reçu des filles «de bonne famille», premières de classe. Dans leur cas, des enseignants du centre jeunesse se sont démenés - presque en cachette - pour les tenir à flot en maths enrichies, en chimie et en physique. Car seules les matières de base sont offertes dans la petite salle de classe verrouillée de l'intensif - notamment parce que les matinées y sont réservées à des activités très ciblées, comme la gestion de la colère.

De toute façon, peu importe son profil, chaque fille est vue comme un cas unique qui évolue constamment. Mille fois par jour, les éducateurs se concertent, mettent leurs observations en commun, soupèsent le pour et le contre, ajustent le tir. Au cours de leurs réunions hebdomadaires, établir une stratégie peut prendre une heure. Difficile d'imaginer équipe plus soudée.

Des colocs qui ne se parlent pas

Devant les filles, l'objectif principal, c'est de tisser un cocon. Entre les crises de l'une ou de l'autre, le calme règne et les rires résonnent dans l'unité. Que ce soit parce que Sarah ensevelit ses spaghettis sous la mayonnaise. Ou que Marie-Ange a apporté huit paires de chaussures et choisit chaque matin celle qui s'agencera le mieux aux broderies de son jeans.

«On rejoint beaucoup les filles par l'humour, en se taquinant et en dédramatisant», souligne Johanne.

Au fil des ans, les éducateurs ont aussi établi un code de vie unique en son genre. Avant d'avoir fait leurs preuves, les fugueuses en série et les toxicomanes doivent par exemple manger seules dans leur chambre et ne peuvent pas descendre fumer une cigarette.

Si les pensionnaires se croisent, interdit de s'adresser la parole. Elles ne peuvent même pas échanger en écoutant la télévision. Lorsqu'une fille est autorisée à se déplacer dans l'unité, les autres doivent très souvent rester dans leur chambre. C'est le cas lorsqu'une fille emplit son assiette, se brosse les dents ou se lave.

Au fil de leurs progrès, les filles décrochent peu à peu des privilèges. Mais jusqu'à la fin, elles sont toujours tenues au silence, à moins d'être à portée de voix d'un éducateur - par exemple, à la table commune ou en faisant du sport.

«C'est ça, l'intensif: chacune doit être centrée sur soi, explique Johanne. On ne veut pas qu'elles se mêlent des affaires des autres. Il faut aussi éviter les complots pour fuguer ou faire entrer de la drogue.»

«Lorsqu'on a débuté, il y a trois ans, on n'avait pas toutes ces règles, dit-elle, mais les filles ont besoin d'un cadre, même le 25 décembre, sinon, ça amène trop d'anxiété.»

Les nouvelles se rebellent contre ces contraintes, mais les anciennes en redemandent parfois. Croisée par hasard au détour d'un couloir, à un autre étage, l'une a imploré Johanne: «Tu vas me téléphoner? Ne m'oublie pas! Je veux être avec vous pour Noël. Il y a juste vous autres que j'aime!»

Surprenant? À La Passerelle, le cadre est si strict qu'il y a moins de frictions, explique sa chef, José Gauthier. Dans son unité, il n'y a pas de musique, de potinage, de disputes, d'appels aux amis. Les filles doivent se centrer sur elles-mêmes et non s'étourdir.

Il y a aussi plus d'éducateurs. «Quand je pleure, elles viennent, se réjouit Sarah. Je n'ai même pas besoin de le leur dire. Ici, je me sens en sécurité. Les éducs te connaissent plus que tes parents parce qu'ils voient tes progrès. Je sens qu'ils tiennent à nous.»

Par moments, on les croirait même heureuses. Stéphanie danse entre les rayons de la bibliothèque, emballée d'y trouver des bandes dessinées. Daphné montre fièrement son bricolage.

Les éducatrices n'ont quand même qu'un message: la vie est ailleurs. «Il ne faut pas qu'une fille aime l'intensif, dit Annick. Ici, elles n'ont que l'essentiel. Les vêtements, la belle doudou, les affiches sur le mur, la teinture capillaire, c'est à l'extérieur que ça les attend.»

L'idée, c'est de les motiver à changer de comportement et à trouver au plus vite les moyens d'y parvenir. En classe, chaque matin, une orthopédagogue anime des discussions sur la gestion de la colère ou la toxicomanie. Chaque soir, seules dans leur chambre, les filles répondent par écrit à une série de questions. Qu'est-ce qui déclenche leurs comportements dangereux? À quels besoins répondent-ils? Comment combler autrement ces besoins?

Tout ça doit être mis à l'épreuve. «Ce n'est pas la réalité d'être enfermée, rappelle Annick. Si on veut qu'elles apprennent à dire non au proxénète ou à la drogue, qu'elles fassent le ménage dans leurs amis, il faut qu'elles sortent. Le vrai défi les attend dehors.»