La proportion d'élèves handicapés ou en difficulté est telle au Québec qu'ils constituent près du tiers des élèves dans certaines commissions scolaires, révèlent de récentes statistiques du ministère de l'Éducation. Un défi considérable pour le milieu scolaire.

Audrey Fortin, toute jeune enseignante de sixième année à l'école Christ-Roi, à Longueuil, peut en témoigner. De ses 28 élèves, 16 font l'objet d'un plan d'intervention pour troubles de comportement ou difficultés d'apprentissage. «À ma première semaine d'enseignement, j'ai pensé tout lâcher. Je n'avais pas de bagage, je n'étais pas nécessairement préparée à cela. Heureusement, j'ai eu de l'aide d'une collègue», avoue Mme Fortin, qui a pris sa classe en février.

Certains de ses élèves sont du niveau de la troisième ou quatrième année; d'autres sont suivis par la Direction de la protection de la jeunesse. Dans ces conditions, difficile de se concentrer sur l'enseignement. «Ce n'est pas évident de donner la matière», raconte Mme Fortin. Elle doit constamment l'adapter pour ceux qui ne sont pas du même niveau. «Pour mon élève de troisième année, je me base sur les compétences à évaluer à son niveau. Si j'enseigne les fractions, par exemple, je dois lui donner d'autres exercices adaptés à son cycle.»

La dynamique d'une telle classe est difficile. Des élèves se lèvent sans raison, d'autres parlent constamment. Il suffit parfois d'un petit regard de connivence entre deux élèves pour que l'enseignante perde l'attention de tout le groupe.

Un élève sur cinq en difficulté

Le nombre d'élèves handicapés ou en difficulté d'adaptation ou d'apprentissage (EHDAA) est en progression. Un élève sur cinq fait désormais partie de cette catégorie au Québec.

Mais dans certaines commissions scolaires, c'est pire, révèlent de récentes statistiques du ministère de l'Éducation, qui tiennent compte de toute la clientèle, y compris les élèves à risque, avec ou sans plan d'intervention.

Près du tiers sont considérés comme handicapés ou en difficulté. La commission scolaire des Hauts-Bois-de-l'Outaouais en compte 33,8% pour l'année 2010-2011.

Dans la région métropolitaine, les taux sont également élevés, notamment aux commissions scolaires Marie-Victorin (30,9%) et Marguerite-Bourgeoys (27,2%) ainsi qu'à la Commission scolaire de Montréal (26,1%).

D'autres régions ont connu des hausses plus marquées qu'ailleurs au cours des dernières années. La commission scolaire des Appalaches a vu le pourcentage d'EHDAA passer de 6,6% il y a 6 ans à 22,2% cette année. À la Commission scolaire des Laurentides, ils sont passés de 20,5 à 30% pendant la même période.

Le milieu familial, le fait d'habiter une région défavorisée et même la crise économique peuvent accentuer le phénomène. Un taux de chômage élevé entraîne une pauvreté accrue qui se répercute à l'école, explique la présidente de la Fédération des commissions scolaires du Québec, Josée Bouchard.

«C'est inquiétant et les enseignants se sentent de plus en plus démunis», relate Mme Bouchard.

Difficile d'enseigner pour tous les élèves

Enseignant depuis une douzaine d'années, Gilles Couture lance qu'il n'a «que» cinq plans d'intervention cette année pour des élèves handicapés ou en difficulté.

Dans sa classe de cinquième année de l'école Des Sources, à Varennes, il doit composer avec des enfants dyslexiques, atteints de troubles envahissants du développement (TED) ou de troubles de comportement, ou encore des redoublants...

«Il faut s'adapter», dit-il. Dans l'évaluation des capacités de lecture d'un enfant dyslexique, il réduira ainsi la longueur du texte. Pour un enfant qui est plus lent, il retirera quelques questions de l'examen, quitte à évaluer le reste de la matière une autre fois.

«Le problème avec des élèves plus lents, c'est qu'ils finissent toujours après les autres et que ça les décourage. Ils ne se sentent pas bons. En retirant une ou deux questions, j'ai quand même l'information dont j'ai besoin pour l'évaluer et ça permet à l'élève de finir en même temps que les autres», explique M. Couture.

L'intégration des élèves en difficulté dans les classes ordinaires accentue la pression sur l'enseignant. Il doit en même temps s'occuper des élèves plus forts, qui s'ennuient parce qu'ils ont vite compris, ou des plus discrets, qui ne dérangent jamais mais qui ont peut-être besoin d'aide.

«On reste quand même des généralistes. Si trop d'enfants demandent un suivi individuel, on est toujours arrêté dans nos actions. C'est très difficile d'avancer en tant que groupe», reconnaît l'enseignant.

Malgré l'ajout de ressources depuis quelques années, l'aide n'est pas suffisante. Les orthophonistes, orthopédagogues, psychologues et autres professionnels sont débordés. Ils ne peuvent aider chaque élève plus de quelques heures par semaine.