En 1987, la Colombie-Britannique a mis sur pied un ordre professionnel pour encadrer le travail de ses enseignants. Le but: s'assurer de la compétence des profs. Mais 25 ans plus tard, la province dresse un constat d'échec. Qu'est-ce qui a dérapé à l'ouest des Rocheuses?

Robert Noyes n'aurait jamais dû être enseignant. Pas parce qu'il ne maîtrisait pas la grammaire ou l'algèbre, mais parce qu'il est pédophile.

À la fin des années 80, l'homme a commis des attouchements sexuels sur plus de 60 enfants dans une petite banlieue de Vancouver. Sitôt démasqué et renvoyé d'une école, il retrouvait du travail dans une autre. Son manège a duré des années, jusqu'à ce que la police s'en mêle.

À l'époque, l'histoire avait choqué la Colombie-Britannique. Comment un pédophile avait-il pu passer d'école en école et agresser des dizaines d'enfants? Le gouvernement a donc décidé d'agir. Pour mieux encadrer la profession, la province a adopté une loi créant un ordre professionnel pour les enseignants de la province: le BC College of Teachers.

Les ordres professionnels sont courants dans plusieurs professions libérales, chez les médecins, les notaires, les architectes, par exemple. Mais ils sont extrêmement rares chez les enseignants.

Le gouvernement espérait que, en créant un ordre fort, les enseignants pourraient mieux encadrer l'accès à la profession. Désormais, promettait-on, il n'y aurait plus de Robert Noyes. On jurait aussi que les professeurs seraient plus compétents grâce à un rigoureux mécanisme d'évaluation.

Vingt-cinq ans plus tard, quel constat fait-on du «modèle BC» ? L'aventure est un échec complet, selon un rapport accablant commandé l'année dernière par le ministère de l'Éducation.

«À l'époque de sa création, le Collège des enseignants de la Colombie-Britannique pouvait, avec raison, être perçu comme une expérience unique en Amérique du Nord, dit ce rapport. Mais, tout compte fait, le Collège n'est plus efficace depuis plusieurs années et on peut s'inquiéter pour l'intérêt public si rien n'est fait.»

Le constat est brutal. Selon le rapport, le Collège est noyauté par le principal syndicat d'enseignants, la Fédération des professeurs de la Colombie-Britannique (BCTF). Celui-ci chercherait avant tout à protéger ses membres, même si cela dilue la mission du Collège, censé promouvoir un enseignement de qualité.

«Le rapport note que le Collège n'est pas efficace, qu'il protège plus les enseignants que le public et qu'il est noyauté par le syndicat. C'est une description assez juste de la situation.» Celui qui lance cette phrase lapidaire est bien placé pour parler. Avant d'être à la tête du BC College of Teachers, Kit Krieger était... président du syndicat des enseignants.

«C'est très difficile. Le syndicat nous perçoit comme une menace. Pendant 23 ans, il a mis des bâtons dans les roues du Collège, lance-t-il. J'ai fait partie du problème (au syndicat) et, aujourd'hui, j'ai compris que j'avais tort.»

Le syndicat rejette ces accusations et assure «qu'il respecte l'autonomie» de l'Ordre. Il a toutefois admis récemment avoir mal reçu la nouvelle de la création du Collège. Quelques jours après l'annonce, en 1987, le journal syndical avait titré: «Le gouvernement attaque la BCTF». La création d'un ordre professionnel avait alors été perçue comme une déclaration de guerre.

Aucun renvoi pour incompétence

La création du Collège a été doublée d'un ambitieux processus d'évaluation. Le travail de chacun des quelque 40 000 enseignants de la province devait désormais être passé sous la loupe chaque année.

Les directeurs d'école sont chargés d'évaluer leurs enseignants. Si l'évaluation est insatisfaisante, on la reprend. Après trois échecs, le dossier est envoyé au Collège. Celui-ci doit trancher et décider des mesures à prendre, qui peuvent aller jusqu'au retrait du permis d'enseigner.

Mais depuis la création du Collège, si on a souvent retiré un permis d'enseigner à cause d'une faute grave, on ne l'a jamais fait pour cause d'incompétence, rappelle Kit Krieger. «Le public veut davantage qu'une profession qui écarte les pédophiles, mais qui accepte les enseignants incompétents ou malhonnêtes!»

En 2008, par exemple, des enseignants soupçonnés d'avoir giflé un élève, consommé de l'alcool en classe ou encore regardé de la pornographie juvénile sur un ordinateur de l'école s'en sont tirés avec une tape sur les doigts. Selon le Vancouver Sun, même si la direction de l'école les a suspendus, le College of Teachers n'a pas cru bon de les punir.

Lorsque le dossier d'un enseignant incompétent est déféré au Collège, les membres du conseil s'opposent en fait toujours au retrait du permis d'enseigner. La majorité d'entre eux sont très proches du syndicat, ce qu'a dénoncé le rapport du Ministère. Dans une tentative évidente de limiter l'influence du syndicat sur le Collège, le rapport a recommandé de réduire de 20 à 15 le nombre de représentants au conseil et de limiter à 7 le nombre de membres issus de la profession.

Kit Krieger voudrait aussi que le permis d'enseigner soit conditionnel à des mises à niveau régulières. «Nous sommes l'une des deux seules professions dans la province où, lorsqu'on obtient un permis, on n'a plus rien à faire pour le conserver, relève-t-il. Mon médecin a obtenu son diplôme en 1961. Je n'aimerais pas aller le voir si je savais que ses connaissances sont les mêmes aujourd'hui qu'à l'époque.»

Le rapport est désormais entre les mains du ministère de l'Éducation de la province, qui a promis d'agir et de donner plus de pouvoir au Collège. «Notre rôle est de nous assurer que ceux qui ne sont pas compétents pour enseigner n'enseignent plus, dit Kit Krieger. C'est aussi simple que ça. J'espère qu'on va y arriver.»