«J'ai visité des classes dans plusieurs pays, des pays pauvres. Je n'ai jamais vu de locaux en aussi piètre état que le mien.»

Marc* enseigne dans une école secondaire de la grande région de Montréal. Il en a assez d'avoir à enseigner, jour après jour, dans une classe délabrée et vétuste.

Le bois des fenêtres est pourri et la peinture s'écaille. Les vitres sont dépolies au point où l'on peine à voir dehors. Quand le soleil plombe, il fait une chaleur suffocante dans la pièce.

Sur les murs, la peinture est tellement défraîchie qu'elle laisse voir le gypse en plusieurs endroits.

Au plafond, on aperçoit de grands cernes bruns laissés par des dégâts d'eau. Les moisissures ont commencé à s'infiltrer.

Les gribouillis sur les pupitres ont été effacés tant bien que mal. Mais en dessous, les parois en métal sont noircies par les années. De vieilles gommes à mâcher sont collées là, visiblement depuis longtemps.

En mai, juin et septembre, la classe devient trop chaude, même si les rideaux sont tirés. L'air est irrespirable. Sans compter que l'endroit est très bruyant. Il faut fermer la porte pour ne pas entendre les élèves qui passent dans le couloir en parlant à tue-tête ou les directives des enseignants des autres classes.

L'école compte une dizaine de classes dans un état similaire. «Je compare ma classe à une salle d'une école de Beyrouth dans les années 80. Mais c'était un pays en guerre!» Comme d'autres enseignants qui vivent la même situation, Marc préfère taire son véritable nom ainsi que celui de son école. Il craint d'être accusé de déloyauté.

L'environnement n'est propice ni pour les enseignants ni pour les élèves.

«Quand on a une salle de classe qui donne l'impression d'une soue à cochons, comment voulez-vous que les élèves soient stimulés?», dit Marc.

Toutes les écoles de la province ne sont pas dans cet état. Mais Marc est loin d'être le seul enseignant à devoir composer avec un local vieux et délabré. D'année en année, le nombre de ces classes continue d'augmenter, malgré les millions investis pour la réfection des écoles.

Du matériel désuet, brisé... ou inexistant

Il n'y a pas que les locaux qui sont vieux. Le matériel aussi. Le même scénario se répète à chaque rentrée scolaire. Quelques jours avant l'arrivée des élèves, les enseignants se présentent à l'école avec seaux et chiffons.

Ils nettoient les gribouillis sur les bureaux, époussettent les meubles, collent des affiches aux murs pour tenter de les égayer. Pour la peinture défraîchie, les cernes au plafond et les tuiles de sol arrachées, ils ne peuvent toutefois rien faire.

Peu importe l'école, c'est la même chose chaque année, raconte Nathalie*, enseignante dans une école primaire de la Rive-Nord. Il manque des pupitres. Il faut parfois attendre quelques jours avant d'en obtenir. Il n'y a pas suffisamment de chaises pour les élèves. Le concierge finit par en récupérer quelques-unes, si usées que le siège et le dossier ne sont plus de la même couleur. Le plastique est cassé et risque de pincer les élèves qui s'y assoient.

Le mobilier est vieux, souvent brisé. Dans la classe de Nathalie, les portes des armoires métalliques qui contiennent le matériel ne ferment plus. Le liège du babillard est arraché. La porte de la classe, censée être verrouillée le soir, n'a plus de loquet. «Quand on demande du budget, l'école n'en a jamais», lance-t-elle d'un ton exaspéré.

Quand Nathalie a voulu déplacer un meuble pour réaménager sa classe, les tuiles du plancher se sont arrachées. «Ça faisait tellement longtemps que le meuble n'avait pas été déplacé que les couches de cire du plancher s'étaient accumulées au fil des ans», dit-elle.

En dernier recours, elle a finalement choisi de faire table rase: elle a sorti les vieux meubles et apporté quelques bibliothèques de sa maison. Elle a aussi sorti de sa classe les vieux manuels aux pages jaunies et collées qui s'empoussièrent depuis des années, devenus désuets avec la réforme.

Les dictionnaires, dont plusieurs n'ont plus de couverture, datent de 1987. «C'est récent, pour un dictionnaire d'élève», ironise-t-elle. Elle n'a pas le choix de les conserver: elle n'en a pas d'autres.

Les fenêtres sont dépourvues de moustiquaires. Mais quand il fait trop chaud, les enseignants n'ont pas le choix de les ouvrir. «Deux fois, une guêpe est entrée dans la classe cette semaine. J'ai un élève qui est allergique», lance Nathalie.

Il y a bien quelques ventilateurs dans l'école, mais soit ils ont le pied cassé, soit ils sont bringuebalants. Elle a préféré en apporter un de la maison. Elle a aussi payé de sa poche du matériel dont elle a besoin, comme des réglettes pour l'enseignement de l'arithmétique.

«C'est frustrant. On veut faire notre métier du mieux qu'on peut, mais on n'a pas le matériel. Les trois quarts des trucs que j'ai dans ma classe, c'est moi qui les ai achetés», dit-elle.

Bien des enseignants se retrouvent dans la même situation. Nathalie se compte tout de même chanceuse, car elle a plusieurs années d'expérience. Elle a accumulé du matériel au fil des ans. Les jeunes enseignants qui s'installent dans une nouvelle classe ne trouvent souvent que des pupitres et des chaises... pas toujours en bon état. 

* Noms fictifs

Photo: Marco Campanozzi, La Presse