Le gouvernement Charest prépare une directive pour interdire la religion dans les services de garde en milieu familial, comme il l'a fait dans les centres de la petite enfance et les garderies subventionnées, a appris La Presse.

«On est en train d'élaborer une directive, dans le même esprit que celle qu'on a présentée l'année dernière et qui est entrée en vigueur en juin, mais il faut tenir compte du contexte particulier du milieu familial. Ce sont des travailleuses autonomes qui gardent les enfants chez elles», explique Étienne Gauthier, du ministère de la Famille et des Aînés.

La ministre Yolande James confirme qu'une telle directive est en préparation, mais refuse de fixer une échéance.

Lorsqu'on veut appliquer une telle directive, il y a un processus à suivre de façon à ce qu'elle soit bien comprise. [...] Au moment où on se parle, nous sommes en concertation avec nos partenaires pour identifier l'applicabilité», indique Mme James.

Depuis juin, une directive du Ministère interdit toute forme de religion dans les centres de la petite enfance et les garderies privées. Une mesure qui ne touche pas le milieu familial.

Un statut particulier

Actuellement, le programme éducatif de plusieurs responsables de service de garde (RSG) en milieu familial comprend d'ailleurs des éléments religieux. C'est le cas de plusieurs RSG de la communauté juive. Il s'agit principalement d'une initiation à la religion, souvent par l'entremise de chants.

Dans l'arrondissement d'Outremont, 487 places en milieu familial sont ainsi gérées exclusivement par des RSG de la communauté juive, sous la direction du bureau coordonnateur Gan unifié. On y pratique de l'enseignement religieux.

Il y a un peu d'enseignement religieux dans les services de garde en milieu familial. [...] Ce sont des juifs qui s'y trouvent, ça dépend de la RSG», explique la directrice du bureau coordonnateur Gan unifié, Judith Gross.

Mais elle affirme que la pratique de la religion n'est pas un frein à la fréquentation des services de garde par des enfants qui ne sont pas juifs.

Il y a des enfants qui ne sont pas de la communauté juive, peut-être 10% environ, ça dépend de la demande», précise Mme Gross.

Des annonces offrant des places en milieu familial sont publiées régulièrement dans le News Flash, un journal destiné à la communauté juive.

La clientèle visée ne fait aucun doute. Une responsable de service de garde offre une place à 7$ en se présentant comme une enseignante. D'autres font référence à un «service de garde heimishe» et «d'atmosphère propice à l'éducation». D'autres annonces publiées au cours des dernières semaines précisent même qu'un service de transport est offert.

Le bureau coordonnateur Gan unifié bénéficie d'un statut particulier décrété par le gouvernement Charest au moment de la création des bureaux coordonnateurs du Québec, en 2006.

Son agrément, accordé par le ministère de la Famille et des Aînés, précise qu'il doit travailler «uniquement auprès des responsables d'un service de garde en milieu familial de la communauté juive, sur le territoire du CSSS de la Montagne», révèlent des documents que La Presse a obtenus.

L'ensemble des bureaux coordonnateurs, qui supervisent la garde en milieu familial, ont été nommés en fonction de leur territoire. Celui du Gan unifié est plutôt basé sur un critère culturel. L'agrément de tous ces bureaux coordonnateurs doit être revu en 2012.

La concentration importante de représentants de la communauté juive à Outremont - ils comptent pour 20% de la population - a justifié cette décision, explique encore aujourd'hui la ministre de la Famille et des Aînés, Yolande James.

Signal d'alarme

Il s'agit toutefois d'un dangereux précédent, estime Louis Rousseau, professeur au département de science des religions à l'Université du Québec à Montréal.

L'existence de cette coordination juive nous pend au bout du nez comme un potentiel conflit sociopolitique», souligne M. Rousseau en rappelant que d'autres communautés culturelles d'importance au Québec pourraient réclamer de telles particularités.

M. Rousseau a d'ailleurs signé une lettre d'opinion à ce sujet en 2006, au moment de la création des bureaux coordonnateurs.

Non seulement les enfants juifs sont «condamnés à être élevés en marge», mais les services de garde sont les seules institutions publiques financées par l'État où la règle est particulière, constate-t-il.

Il y a une orientation citoyenne dans la législation du Québec. Ces institutions peuvent avoir une couleur particulière [...] mais si elles sont financées par le Québec, elles doivent appartenir à un système de gestion générale et avoir l'obligation, en principe, d'être ouvertes à tous.»

Une question délicate

Les services de garde doivent accueillir des enfants de toutes les communautés. Mais ce sont principalement des enfants de même confession religieuse qui les fréquentent, ont confié quelques directions de bureaux coordonnateurs à La Presse sous le couvert de l'anonymat.

La question de la religion dans les services de garde en milieu familial est d'ailleurs complexe.

La responsable du service de garde est une travailleuse autonome. Elle a le loisir de choisir sa clientèle et doit avant tout répondre aux besoins des parents.

Plusieurs RSG juives, par exemple, vont offrir des heures d'ouverture plus restreintes, explique pour sa part Robert Racine, directeur du bureau coordonnateur du CPE Saint-Michel, qui compte plusieurs RSG issues de la communauté juive.

Les parents qui fréquentent ces milieux s'arrangent très bien si la RSG doit fermer le vendredi en raison du shabbat. Eux aussi font le shabbat puisqu'ils sont juifs», raconte-t-il. Même chose pour les services de garde qui ferment tôt en après-midi, de façon à respecter le début du shabbat, au coucher du soleil. Reconnaissant que le programme éducatif offert par plusieurs RSG de la communauté juive est teinté de religion, M. Racine souligne qu'il est bien conçu. «Si les responsables prenaient des enfants de toutes les communautés, ce serait un très bon programme», dit-il.