Quand un enfant immigrant est signalé à la Protection de la jeunesse, les parents tiennent très souvent le même discours: il faut frapper son enfant pour l'éduquer. Ou encore: il faut le maîtriser pour éviter sa dérive morale et le déshonneur. Voici comment les intervenants tentent de réconcilier deux mondes.

Dans la grande majorité des cas, lorsque les enfants de familles immigrantes sont signalés à la Direction de la protection de la jeunesse (DPJ), c'est parce qu'ils ont été battus ou corrigés de manière excessive, révèle une étude signée Chantal Lavergne, de l'Institut universitaire du centre jeunesse de Montréal, et Sarah Dufour, de l'Université de Montréal.

Les jeunes Noirs sont les plus touchés de tous, 79% d'entre eux ayant été signalés après avoir été victimes d'une discipline déraisonnable, de blessures ou de sévices physiques. C'était par ailleurs le cas de 67% des enfants issus d'autres minorités culturelles (arabes, asiatiques, latino-américains, etc.). Et de 37% de tous les autres jeunes Québécois.

Selon le directeur de la Maison internationale de la Rive-Sud, partenaire du centre jeunesse de la Montérégie, ces différents dossiers sont incomparables. «Quand une maman frappe son enfant de bonne foi, avec tout l'amour qu'elle a pour lui, comme elle l'a toujours fait dans sa vie antérieure, on ne peut pas appliquer la loi de façon bête et méchante, dit Noureddine Belhocine. Elle n'est pas dans la même situation que le Québécois qui connaît la Loi sur la protection de la jeunesse depuis l'enfance.»

«On ne peut pas cautionner la violence, ajoute la pédopsychiatre Cécile Rousseau, spécialiste de l'approche ethnoculturelle au CSSS de la Montagne. Mais on doit savoir que, dans certaines cultures, c'est considéré comme beaucoup moins humiliant de frapper avec une pantoufle qu'avec la main, ou qu'isoler un enfant dans sa chambre.»

À l'école secondaire Henri-Bourrassa, à Montréal-Nord, la psychoéducatrice Lyne Laniel rencontre en tout cas de nombreux parents qui «veulent comprendre», dit-elle. «Ils nous demandent: Si je ne peux pas frapper, qu'est-ce que je vais faire d'autre? Tout comme les autres Québécois, il y en a qui sont prêts à recevoir de l'aide et d'autres qui refusent.»

Dans son quartier, les nouveaux venus peuvent ainsi être dirigés vers des programmes comme «Éduquons nos enfants sans corrections physiques», celui-ci donné par la Maison d'Haïti et le Centre Mariebourg. Ils doivent alors assister à quatre rencontres sur une base volontaire. S'ils font les progrès requis, la DPJ ferme leur dossier.

Les Québécois de longue date ont aussi accès à des programmes de compétences parentales, la loi visant ultimement le retour de l'enfant dans sa famille.

Des coups de bâton

Tout n'est pas rose pour autant dans les familles immigrantes, car certains parents s'acharnent à défendre leurs méthodes ou à nier les faits, comme en témoignent de nombreux jugements de la Cour du Québec. C'est ainsi qu'un père qui frappait ses enfants avec toutes sortes d'objets (pantoufle, chaussure, bâton de peinture) a vu ses enfants confiés à une famille d'accueil. Il mettait de la glace aux endroits frappés pour calmer l'enflure et camoufler ses gestes, et disait n'avoir peur de personne d'autre qu'Allah. Le juge a écrit qu'«aucun contexte culturel ou religieux ne peut permettre de poser des gestes de violence à l'égard de ses enfants».

Dans une autre famille, une fille de 12 ans a été frappée à coups de ceinture pour avoir oublié un livre à l'école, puis frappée avec un câble de télévision et une cuillère de bois. Elle a pu rester avec sa famille, mais son dossier de protection est resté ouvert. La mère a défendu son «mode éducationnel» et le père a dit: «C'est notre mode de vie. On vit comme ça», mais a néanmoins promis de ranger son ceinturon.

«Peu importe son origine, le parent n'est pas toujours capable de trouver une solution de rechange à la violence», indique Rachida Azdouz, spécialiste des questions ethnoculturelles à l'Université de Montréal. Selon cette psychologue, habituée des expertises psycholégales, on donne parfois trop de chances aux nouveaux venus. «Quoi qu'ils en disent, leurs enfants les informent très vite des limites de notre société! Si le parent ne paie pas ses impôts, l'ignorance ne sera pas une excuse, on lui imposera une pénalité. C'est encore plus important de le faire quand un jeune est en cause», dit-elle.

Le psychiatre montréalais Abdelaziz Chrigui est du même avis. «La loi structure notre société. On ne peut se mettre à la lire de façon différente en fonction des citoyens. Sinon, pourquoi ne pas l'appliquer différemment aux pauvres et aux riches?», demande le médecin, qui dirige la clinique transculturelle du CSSS Coeur-de-l'Île.

Son équipe pluriethnique offre de la thérapie à une trentaine de familles, dont la moitié a été ciblée par la DPJ, afin que parents et enfants puissent assainir leurs liens. On utilise alors les référents culturels de la famille comme «leviers thérapeutiques», explique le psychiatre, citant en exemple le cas d'un patient venu du Moyen-Orient qui a commis des attouchements sur l'une de ses filles et l'a battue. «Pour qu'elle puisse retourner à la maison après voir été placée, il devait absolument admettre qu'il était fautif, explique le médecin. Au début, il ne voulait pas. Puis, il a fini par citer des versets coraniques et des métaphores religieuses, par admettre qu'il l'était au sens de la justice divine. Aucune religion ne dit qu'il faut maltraiter ses enfants. Il ne faut pas utiliser la culture comme parapluie.»

Gare au dépistage

À l'inverse, l'origine d'un enfant ne devrait pas nous rendre plus scrupuleux, estime l'Association médicale canadienne. Dans ses dernières lignes directrices sur les réfugiés et les nouveaux immigrants, l'Association recommande donc de ne pas faire de dépistage particulier pour vérifier si leurs enfants sont victimes de violence.

Ils sont actuellement huit fois plus susceptibles d'être évalués à cet égard, précise la psychologue Ghayda Hassan, professeure à l'UQAM et spécialiste de l'approche transculturelle, qui a contribué à l'élaboration des nouvelles règles. «Ça leur fait beaucoup plus de mal que de bien, parce qu'on se trompe souvent. On se retrouve avec un bien plus grand nombre de faux positifs que d'enfants avec de réels problèmes. Et cela cause beaucoup de dommages et de détresse inutile.»