L'Université Laval a trouvé un commanditaire inattendu et peu commun pour financer un symposium sur le terrorisme qui a eu lieu en septembre dernier à Québec: les services secrets canadiens.

Le SCRS figure en effet sur la liste des agences gouvernementales (Défense nationale, Affaires étrangères, ministères québécois de la Sécurité publique et des Relations internationales) qui ont contribué financièrement à l'organisation de la «Conférence sur les relations nord-américaines en matière de sécurité, 10 ans après le 11-Septembre».

Le logo du consulat général des États-Unis à Québec figure aussi sur le programme.

Dans une note «confidentielle» adressée le 12 mai 2011 par quatre directeurs du service, dont celui de la division du renseignement, à leur grand patron Richard B. Fadden, il est en effet recommandé de «supporter financièrement cet événement».

«Un public cible»

Les auteurs de la note, obtenue par La Presse en vertu de la Loi d'accès sur l'information et partiellement caviardée, précisent que le «public cible» comprend des étudiants et des universitaires ainsi que des médias, dont des représentants de «CBC/Radio-Canada» et de la «presse locale».

Cette aide financière a été puisée à même le budget du nouveau «programme de liaison-recherche» institué par le SCRS en 2008. «Le Service cherche à établir des liens plus dynamiques avec les universitaires afin de pouvoir échanger sur diverses questions liées à son mandat et de les aider à mieux comprendre les priorités du gouvernement en matière de renseignement», lit-on dans le dernier rapport annuel du service.

Les universités apparaissent surtout comme un vivier intéressant pour le service de renseignement. «Nos recruteurs se rendent sur les campus canadiens plus de 50 fois par année pour essayer de convaincre de brillants jeunes gens de faire carrière au SCRS», a déclaré en 2009 Jim Judd, ex-directeur du service et instigateur de ce «rapprochement», déjà entré dans les moeurs aux États-Unis, par exemple.

«L'équipe du programme de liaison-recherche participe, au Canada et à l'étranger, à un grand nombre d'ateliers, de conférences et de symposiums liés à des questions de sécurité nationale qui pourraient avoir une incidence sur la sécurité du Canada, précise Tahera Mufti, porte-parole du service de renseignement. Le SCRS transmet une partie de ses connaissances et de ses intérêts, ce qui peut aider les spécialistes - politologues, historiens et psychologues - à trouver de nouvelles pistes de recherche». Certains universitaires sont aussi invités à prononcer des conférences au quartier général du SCRS à Ottawa.

Mais le budget alloué à ces opérations demeure secret.

Financement secret

Joint par La Presse, le professeur de sciences politiques Jonathan Paquin, coorganisateur du symposium, explique que cette participation du SCRS, qu'il a lui-même sollicitée, était la première.

Il reconnaît que les agences gouvernementales, tel le SCRS, «ont un intérêt» à soutenir les manifestations de ce genre, mais il affirme qu'il n'a pas le choix d'accepter ce financement «parce que les universités ne roulent pas sur l'or». Sans ce soutien financier, ajoute-t-il, il n'aurait pu faire venir 16 universitaires provenant du Canada, des États-Unis, du Mexique et de France.

Combien le SCRS lui a-t-il versé? «Moins de 10 000$», répond l'universitaire. Les espions canadiens n'avaient aucun stand de recrutement et avaient seulement délégué une personne qui assistait aux ateliers.

Jonathan Paquin est conscient du fait que, dans son milieu, toute intrusion d'agence gouvernementale, a fortiori des services secrets, suscite malaise et questions d'éthique chez certains professeurs et étudiants. Certains se rappelleront les infiltrations réalisées par le service de renseignement de la GRC, ancêtre du SCRS, durant la guerre froide et peuvent craindre encore le recrutement de taupes. «Les services secrets ont mauvaise réputation, c'est vrai, déplore M. Paquin. Mais le SCRS, ce n'est pas la CIA des années 50 ou 60. Il faut faire la part des choses. Ce qui importe, pour moi, c'est de maintenir la liberté d'expression. Si je peux créer des partenariats avec ces agences ou tout autre partenaire, tant qu'il n'y a aucun effet néfaste sur ma formation et mes étudiants, et en prenant bien soin de procéder dans les règles de l'art, je ne vois pas de problème si cela nous permet de réunir des gens qui ont des choses intéressantes à dire.»

Il ajoute au passage que ce type de partenariat n'a rien à voir à ses yeux avec ceux des laboratoires pharmaceutiques avec certains universitaires.

- Avec la collaboration de William Leclerc