Affiche devant le banc des joueurs du Canadien, panneau-réclame à l'entrée du pont Jacques-Cartier, publicités entre les segments de Tout le monde en parle. Est-ce la campagne publicitaire d'une grande multinationale?

Non. Plutôt celle de l'Université de Montréal.

Alors que les universités québécoises décrient un sous-financement de leurs activités, elles ont dépensé environ 80 millions en publicité pour se mettre en valeur au cours des cinq dernières années.

Les données fournies par les universités elles-mêmes au ministère de l'Éducation et obtenues par La Presse montrent que ces dépenses ont fait un bond de 19% depuis 2005-2006.

Et ce phénomène ne semble pas près de se résorber. Cette année, les universités McGill, Laval et de Montréal ont acheté des publicités télévisées. L'an dernier, l'Université de Montréal s'était procuré une affiche sur la bande de la patinoire du Centre Bell, nec plus ultra du marché publicitaire montréalais. Le logo n'a toutefois été affiché qu'une période sur trois, pendant six matchs.

Durant la seule année financière 2009-2010, dernières données disponibles auprès du ministère de l'Éducation, les institutions universitaires ont dépensé un total de 18,2 millions dans leurs différentes initiatives de publicité. Les sommes s'approchent davantage des 16 millions pour les quatre années précédentes.

Les universités précisent que les appels d'offres et les offres d'emplois, des dépenses incontournables, sont comptabilisés dans ces totaux. Des publicités internes feraient aussi partie du budget.

Selon la Coalition large de l'Association pour une solidarité syndicale étudiante (CLASSE), il s'agit d'un gaspillage de fonds publics inacceptable, surtout au moment où le gouvernement hausse les droits de scolarité.

«C'est difficile, quand on voit des données comme ça, de prendre au sérieux la théorie du sous-financement», a lancé le porte-parole de la CLASSE, Gabriel Nadeau-Dubois, en entrevue téléphonique. Il demande «un coup de barre» de la part de la ministre de l'Éducation, Line Beauchamp.

La Fédération étudiante universitaire du Québec (FEUQ) joint sa voix à celle de la CLASSE.

«Ça a pris des proportions démesurées. On se demande à qui ça sert», s'est exclamée Martine Desjardins, présidente de l'organisation. Selon elle, il ne s'agit que d'une bataille entre universités pour aller «chercher des étudiants dans la cour du voisin» afin d'obtenir davantage de fonds de Québec. «À l'UQAM, dans les toilettes, on a une publicité de l'Université de Sherbrooke. C'est un peu ridicule.»

C'est l'Université de Montréal qui figure en tête de la liste des universités les plus dépensières si l'on inclut ses écoles affiliées: 3,9 millions en 2009-2010. Suivent l'Université Laval (2,7 millions) et l'Université McGill (2,5 millions).

Mais selon Flavie Côté, de l'Université de Montréal, les contribuables ne devraient pas être choqués de voir des fonds publics être investis dans la publicité des institutions.

«C'est 1,8 million sur un budget de fonctionnement de 639 millions. C'est quand même un faible pourcentage, s'est-elle défendue. Je laisserai aux gens le droit de juger de la part qu'ils trouvent raisonnable ou non.»

Mme Côté défend aussi les emplacements particulièrement prestigieux réservés par l'Université de Montréal. L'établissement a simplement sauté sur des occasions en or, affirme-t-elle. «Dans le milieu de la publicité, ça arrive des fois qu'il y ait certains espaces comme ceux-là qui se libèrent.»

Daniel Zizian, directeur général de la Conférence des recteurs et principaux des universités du Québec (CREPUQ), se range du côté de Mme Côté. Selon lui, les publicités peuvent notamment pousser des jeunes à entreprendre des études.

«Qu'on suscite leur intérêt par différentes offres de programmes, c'est normal», a-t-il affirmé. Lui aussi soutient que ces dépenses ne représentent qu'un pourcentage très faible des budgets.

Même son de cloche du côté de l'Université de Sherbrooke. Lucie Frenière fait valoir que les 9,2 millions investis depuis cinq ans en publicité par son université l'ont été de façon responsable. «On fait une gestion très serrée», a-t-elle affirmé.

Mais pour les étudiants, il s'agit d'un problème de fond. Selon Gabriel Nadeau-Dubois, les gestionnaires d'université considèrent souvent leur institution comme une entreprise en compétition avec d'autres, plutôt qu'un service public.

«Faire de la publicité, investir dans l'immobilier et payer ses recteurs comme des dirigeants de multinationale, ça coûte cher, a-t-il accusé. On est en train de demander aux étudiants de payer pour cette dérive.»

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DE 50 000$ À 75 000$ (estimation)

Affiche sur la bande du Centre Bell


Selon un rapide coup de sonde dans le milieu de la publicité, il s'agit d'un emplacement de choix, qui se détaille entre 8500$ et 12 500$ par période, sans compter les intermédiaires ou le coût de production. L'Université de Montréal refuse de rendre publique cette facture, en invoquant une clause de confidentialité. «Ça a donné une visibilité assez exceptionnelle à l'Université», a fait valoir Flavie Côté.

110 000$

Publicités pendant TLMEP

Les messages étaient diffusés entre les segments de l'émission Tout le monde en parle et mettaient en vedette le travail des chercheurs de l'institution. La campagne visait à «positionner l'Université comme une université de recherche», explique Flavie Côté.

16 000$

Panneau au pont Jacques-Cartier

Le grand panneau-réclame a été installé à l'entrée sud du pont Jacques-Cartier pendant environ un mois. «L'Université de Montréal a cru bon de s'adresser tout particulièrement aux étudiants de la Rive-Sud», pendant la période de dépôt des inscriptions, explique son bulletin d'information institutionnel.