Le plus souvent à leur insu, des entreprises pharmaceutiques et chimiques canadiennes vendent au crime organisé les ingrédients essentiels à la fabrication de drogues de synthèse.

La Gendarmerie royale du Canada (GRC) a rappelé aux représentants de cette industrie l'importance de dénoncer les achats suspects de leurs produits à la Conférence sur le détournement de produits précurseurs et chimiques qui s'est terminée hier à Québec.

Pour fabriquer des méthamphétamines et de l'ecstasy, les criminels ont besoin d'ingrédients « précurseurs » comme le phosphore rouge et la pseudoéphédrine. Ces produits ont un usage légal. La pseudoéphédrine sert à fabriquer des décongestionnants, entre autres. Mais quand ils tombent entre les mauvaises mains, ils servent à faire des drogues qui font beaucoup de ravages au pays. « Des groupes criminels ont atteint un haut niveau d'organisation pour se procurer des précurseurs. Nous devons atteindre ce niveau d'organisation pour les stopper dès les premières étapes de fabrication des drogues de synthèse », a dit l'officier responsable des enquêtes criminelles pour la GRC au Québec, François Deschênes.

Les criminels multiplient les intermédiaires pour que les entreprises légales perdent la trace de leur produit. Une importante entreprise pharmaceutique québécoise en a récemment été victime. La GRC a refusé de la nommer, mais a dévoilé ce cas pour conscientiser son auditoire.

L'entreprise québécoise fabrique un médicament contenant deux fois plus de pseudoéphédrine (120 mg par pilule) que les autres médicaments du genre. Son médicament est ensuite distribué par une autre compagnie dans tout le Canada. Or, une seule pharmacie en Colombie-Britannique s'est mise à acheter le quart de sa distribution annuelle.

La popularité soudaine de son produit a allumé un voyant rouge chez l'entreprise québécoise. Cette dernière a averti la GRC. Le corps policier s'est rendu compte que la pharmacie de l'Ouest canadien revendait ensuite illégalement le produit via l'internet aux États-Unis.

« La compagnie québécoise ignorait que son produit était revendu aux États-Unis. Elle aurait pu se faire mettre à l'amende. On peut aussi se poser de sérieuses questions sur l'utilisation du produit une fois exporté quand on sait que la pseudoéphédrine sert à fabriquer la méthamphétamine », a indiqué le caporal Raymond Martel de la GRC.

Pour éviter des problèmes à ses membres, l'Association canadienne des distributeurs de produits chimiques collabore avec la GRC. Il y a cinq mois, une entreprise membre a eu des doutes sur une transaction avec un homme d'affaires de Montréal, a raconté à La Presse la présidente de cette association, Cathy Campbell. Le Montréalais offrait d'acheter pour 12 millions de dollars d'un produit chimique. « La GRC nous a recommandé de faire la transaction pour pouvoir la suivre à la trace », a expliqué Mme Campbell. Le criminel est tombé dans le piège. Il a été arrêté après avoir livré son achat à une bande criminelle asiatique de Toronto. Cette dernière fabriquait des méthamphétamines dans un gros laboratoire clandestin, aussi démantelé.

Au Canada, les règlements pour contrôler le commerce de produits précurseurs sont récents. Le pays a ratifié un accord de collaboration internationale sur le sujet en 1990. Mais ce n'est que 13 ans plus tard que des règles ont été adoptées.

Pendant toutes ces années de flottement, des groupes criminels ont flairé la manne. Ils se sont installés au pays pour exporter des produits précurseurs en grande quantité, notamment vers les États-Unis, selon la GRC.

Bien que ce soit aujourd'hui plus difficile de se procurer des précurseurs, des bandes de motards criminels, les groupes criminels asiatiques et la mafia russe sont toujours impliqués dans ce lucratif trafic. Ils importent le produit en contrebande de la Chine et de l'Inde.

Un comprimé de méthamphétamines se vend de 5 à 10 $ dans la rue. La pilule fera effet pendant plus de 10 heures. Ce stimulant du système nerveux central a un fort potentiel de dépendance et peut créer des psychoses.