Une juge de la Cour supérieure de Gatineau avait-elle raison d'autoriser une enfant de 12 ans à participer à un voyage scolaire de fin d'année, alors que, en guise de punition, son père le lui avait interdit?

Voilà le litige fort inhabituel qui a été entendu, hier, par la Cour d'appel, à Montréal. Il convient de préciser que cette affaire a comme toile de fond un couple séparé depuis huit ans, qui n'arrive pas encore à communiquer après tout ce temps. Les jumeaux que le couple a eus, et qui ont maintenant 13 ans, sont au centre de ses tiraillements. Les relations sont à ce point mauvaises entre les parents, que les enfants ont demandé d'eux-mêmes de demeurer en permanence avec leur père en janvier 2007, parce que la garde partagée était trop problématique. Ce qui fut fait.

Mais, en mai 2008, en raison d'un conflit avec son père, découlant entre autres de ses mauvaises relations avec sa belle-mère, la jeune adolescente est allée habiter chez sa mère. En raison du comportement de sa fille, le père ne voulait plus qu'elle participe à un voyage de fin d'année de trois jours à Québec, organisé par l'école. Il a même demandé le remboursement de ce voyage, auquel il avait auparavant consenti.

Pour sa part, la mère voulait que sa fille fasse le voyage. Elle a payé les frais exigés et s'est portée volontaire pour accompagner le groupe d'écoliers à Québec, en tant que parent bénévole. Le père a envoyé une lettre à l'école pour dire qu'il s'y opposait. Trouvant l'affaire trop délicate, la commission scolaire a statué qu'il n'y aurait pas de voyage sans l'accord du père, puisque c'est lui qui avait légalement la garde de l'enfant. Devant l'impasse, la jeune fille s'est adressée à une avocate, Me Lucie Fortin, qui a porté le litige devant la Cour supérieure.

Le 13 juin 2008, à quelques jours du grand départ à Québec, la juge Suzanne Tessier autorisait l'enfant à faire le voyage. Selon elle, cela allait dans le meilleur intérêt de l'enfant, d'autant plus que la jeune adolescente avait déjà été punie parce que son père lui avait interdit de participer au spectacle de fin d'année de son école. Elle signalait en outre que l'enfant résidait chez la mère à ce moment-là, et que cette dernière en avait de facto la garde, selon la jurisprudence. L'enfant a fait le voyage.

Même si le débat devient théorique, le père a porté le jugement en appel.

Simple gestion quotidienne?

Hier, l'avocate du père, Kim Beaudoin, a fait valoir que la Cour n'aurait jamais dû intervenir dans cette affaire, car il s'agit de «gestion quotidienne». Par ailleurs, elle croit que le meilleur intérêt de l'enfant, dans le cas présent, est d'apprendre qu'il y a des règles dans la vie. Enfin, elle a signalé qu'à la limite, le père a le droit de se tromper à l'intérieur de sa maison, dans la gestion du quotidien.

Me Lucie Fortin considère pour sa part qu'il n'y a rien à redire au jugement Tessier. Le litige dépasse la gestion quotidienne d'une famille, affirme-t-elle, et relève plutôt de l'autorité parentale. Le voyage venait clore toute l'étape scolaire primaire de l'enfant, tous les élèves y allaient (son jumeau notamment), et cela représentait un intérêt capital pour l'enfant. Par ailleurs, elle avait un bon comportement à l'école, ainsi que des bonnes notes. «Au Québec l'autorité parentale est conjointe. Mais en cas de litige, un des deux peut s'adresser aux tribunaux», a-t-elle dit. Par ailleurs, l'article 159 du Code civil permet à un enfant mineur de s'adresser aussi aux tribunaux dans certains cas.

Les juges Paul-Arthur Gendreau, André Brossard et Pierre J. Dalphond sont abondamment intervenus pendant l'audience, hier. Ils ont mis l'affaire en délibéré et rendront leur décision plus tard. Toutes les parties, même les juges, s'entendent cependant pour dire que les parents ont besoin de consulter pour régler leurs problèmes. «Ils ont besoin de thérapie tous les deux», a lancé l'un des trois juges, en parlant des parents.

Il est à noter que la fille et son père n'ont plus de contact depuis mai dernier. Le père ne veut pas que sa fille revienne demeurer avec lui, à moins qu'elle accepte son autorité.

Au moment du jugement, en juin dernier, la conjointe du père était d'avis qu'il s'agissait d'un cas typique «d'enfant roi qui gouverne et qui manipule».