Environ 3000 résidants des pays du Maghreb ont obtenu illégalement une carte-soleil de la Régie d'assurance maladie du Québec, grâce à un étonnant réseau de fraude montréalais que vient de démanteler la GRC, a appris La Presse.

Selon l'information obtenue, qui aurait même été partagée avec le conseil d'administration de la RAMQ il y a quelques jours, d'importants budgets supplémentaires seront bientôt nécessaires pour accroître la sécurité de la carte-soleil, qui donne accès gratuitement aux soins médicaux au Québec.

 

Surtout, le président de l'organisme, Marc Giroux, a dévoilé à l'interne les constats troublants transmis tout récemment à son organisme par la police fédérale, un problème qu'avait révélé La Presse à l'automne 2003 mais que la direction de la RAMQ avait alors mis de côté.

Un consultant en immigration de Montréal a pu mettre en place, il y a plus de cinq ans, un système complexe qui lui permettait de duper facilement les contrôles de la Régie de l'assurance maladie. Grassement rétribué par ses clients demeurés dans leur pays d'origine - essentiellement le Maroc, la Tunisie et l'Algérie -, il veillait à ce que de nombreux gestes soient faits au Québec pour donner l'illusion que ses clients y vivaient.

«C'est carrément surréaliste, infernal. On allait jusqu'à inscrire des enfants fictifs aux écoles, dans des camps de vacances, des activités de loisir... Il y avait une série de fausses adresses, une série de boîtes aux lettres où il n'y avait personne et où on allait chercher le courrier. C'était un gestionnaire de la fraude. Tout servait à prouver la résidence de ses clients au Canada», résument des sources proches de la RAMQ.

La direction de la RAMQ avait décidé de bouger, consciente qu'elle risquait d'être accusée d'avoir été négligente pendant plusieurs années. Car cette semaine, le ministère du Revenu a annoncé qu'il menait aussi une enquête, similaire, sur une société de consultants en immigration, Décision Immigration 2000, sise avenue du Parc. Avec deux employés, son administrateur, Nizar Zakka, aurait, selon Revenu Québec, mis en place un «stratagème sophistiqué» permettant «d'obtenir frauduleusement des bénéfices de certains programmes gouvernementaux». On ne sait pas s'il s'agit du même dossier.

Des pratiques révélées en 2003

En 2003, La Presse avait révélé l'existence de telles pratiques, au Maroc notamment. Le ministre Philippe Couillard avait ordonné à la RAMQ de faire enquête. Après six mois, au printemps 2004, la Régie avait conclu qu'il «n'existait pas de réseau organisé». Elle n'avait trouvé qu'une quarantaine de cartes illégales au Maroc, essentiellement détenues par des gens liés à Royal Air Maroc, la compagnie aérienne nationale. Même la conjointe d'un très haut dirigeant de la compagnie aérienne, résidant à Casablanca, avait dû remettre sa carte à la RAMQ.

Seule mesure prise alors par le président de l'époque, Pierre Roy, la RAMQ avait décidé de resserrer le contrôle quand de nombreuses cartes étaient délivrées pour une seule adresse - on n'enquêtait alors qu'à partir du moment où plus de 12 cartes avaient la même adresse.

Cinq ans plus tard, la GRC a découvert le pot aux roses «par hasard», lors d'une perquisition chez le consultant montréalais, pour un tout autre délit. Pas moins de 3000 personnes ont par cette filière obtenu une carte frauduleusement - le réseau concentré en Afrique du Nord avait aussi des ramifications dans l'Afrique francophone et même en Asie, a-t-on appris.

La plupart de ces étrangers ne visent pas à obtenir des soins gratuits; la carte d'assurance maladie du Québec est pour eux une étape importante dans leur demande de citoyenneté canadienne. Elle leur sert de preuve de résidence permanente au Canada. Or, ils ne quittent pas leur pays d'origine. Le passeport canadien vaut de l'or dans beaucoup de pays pauvres. La résidence au Québec permet aussi de faire des études universitaires à une fraction des coûts exigés partout ailleurs.

Officiellement, hier, la RAMQ s'est faite bien laconique. Dans un communiqué, on s'est contenté d'indiquer qu'on avait entamé «il y a quelques mois une enquête auprès de personnes potentiellement impliquées dans un subterfuge sophistiqué (...) en vue de faire croire qu'elles étaient des résidantes du Québec». Ces détenteurs avaient ainsi «cumulé de fausses preuves de résidence et de présence au Québec».

Le porte-parole de la RAMQ, Marc Lortie, s'est contenté de dire que «l'enquête allait prendre encore un bout de temps» et n'a même pas voulu préciser dans quels pays les cartes frauduleuses se retrouvaient surtout.