Sans délateur crédible, pas de procès. Manifestement, c'est ce qui a incité hier le ministère public à laisser tomber les accusations contre Firmino Tavares et Miguel Torres, deux des plus prolifiques trafiquants au Canada. En neuf ans, de 1996 à 2004, ils auraient fait entrer «au moins 60 tonnes» de cocaïne à Montréal et New York, dans un cas au profit des Hells Angels et dans l'autre, de la mafia montréalaise.

Incarcérés depuis leur arrestation, le 17 juin, les deux caïds ont pu regagner leur liberté dès hier. De santé fragile, Tavares, 52 ans, est même sorti par la grande porte du palais de justice de Montréal. Deux autres accusés, Giovanni Somma et Gerardo Hurtado, qui purgent déjà des peines de prison pour trafic de drogue, ont aussi bénéficié de cet arrêt des poursuites, aussi soudain qu'inattendu.

 

«Je suis aussi surpris que vous. Il s'agissait d'accusations sérieuses, mais c'est le privilège de la poursuite d'arrêter les procédures à quelque étape que ce soit», a dit le juge Jean-Pierre Bonin, à l'adresse des quatre prévenus. Même s'ils avaient appris la nouvelle la veille, ceux-ci avaient encore peine à croire ce qui leur arrivait. Fou de joie, Tavares a sauté dans les bras de l'avocat Frank Pappas.

Accompagné d'enquêteurs de la GRC, le procureur de la Couronne, Me Alexandre Dalmau, a filé dès sa sortie de la salle d'audience. L'air embarrassé, il n'a pas donné d'explication à la Cour, encore moins aux journalistes. Légalement parlant, il a un an pour déposer de nouvelles accusations contre les quatre hommes. «Généralement, quand des accusations sont retirées, c'est que ça va mal du côté de la poursuite», a déclaré l'avocat principal de la défense, Claude Girouard, visiblement satisfait de la tournure des événements.

Le gros de la preuve reposait sur les révélations d'un important trafiquant colombien, Mauricio Jaramillo Correa, alias Susu, impliqué dans un envoi de 2072 kilos de cocaïne à Newark, au New Jersey. En juin 2007, après qu'il eut été extradé aux États-Unis, des enquêteurs de la GRC sont allés le rencontrer à quelques reprises à Corpus Christi, au Texas. Ici même à Montréal, le nom de Correa était ressorti dans deux grandes enquêtes internationales - les projets Cartable et Carumba - que la GRC a menées à la fin des années 90. Représentant du «clan des Twins», établi à Cali, Correa s'en était tiré chaque fois.

Fort d'une volumineuse comptabilité liée à ses transactions avec Firmino Tavares et Miguel Torres, Correa, qui est sous haute surveillance aux États-Unis, devait être le principal témoin à charge au procès prévu à Montréal, en avril. L'instruction devait durer six semaines. D'après la dénonciation - caduque jusqu'à nouvel ordre - les deux trafiquants montréalais auraient acheté 2154 kg de cocaïne, entre septembre et novembre 2003. Durant la même période, Torres en aurait aussi fait livrer 2294 kg à New York. Ils auraient ainsi versé près de 30 millions au cartel colombien.

Selon les documents judiciaires, Tavares et Torres ont empoché 1000$ pour chaque kilo de cocaïne vendu durant toutes ces années. En général, les camionneurs en partance du Texas ont touché 100 000$ pour chacune des cargaisons arrivées à bon port. À un certain moment, Tavares aurait avancé 108 000$ à Correa pour l'achat d'un avion. Selon le délateur colombien, tout cet argent s'échangeait au comptant, à Montréal.

À moins d'un nouveau rebondissement, on ne saura jamais jusqu'à quel point Correa dit vrai.