La télévision de Radio-Canada a révélé mercredi que l'ancien directeur général de la FTQ-Construction, Jocelyn Dupuis, était un associé du caïd Raynald Desjardins et que les deux hommes mangeaient régulièrement ensemble. Raynald Desjardins, qui est toujours en libération conditionnelle pour une affaire d'importation de cocaïne survenue en 1993, a accepté de répondre aux questions de notre journaliste.

«Oui, je connais Dupuis, c'est même un bon chum, mais je ne suis associé avec lui dans aucune business. Si jamais ça marche son projet, c'est sûr que je serais intéressé à y faire un développement domiciliaire», a déclaré, hier à La Presse, le caïd Raynald Desjardins.

 

Se disant aujourd'hui homme d'affaires, il se retrouve au coeur d'une controverse entourant l'ancien directeur général de la FTQ-Construction, Jocelyn Dupuis. Selon Radio-Canada, les deux hommes sont en effet associés dans une entreprise de décontamination.

Figure notoire du crime organisé à Montréal, Raynald Desjardins s'est lancé, depuis sa sortie de prison en 2004, dans l'immobilier et la construction. «À 55 ans, c'est fini pour moi le crime. Je suis complètement réhabilité et je ne fraie plus dans le milieu. Depuis cinq ans, toute ma vie tourne autour de ma nouvelle business. Mes enfants travaillent avec moi, c'est la belle vie», assure l'ancien bras droit du chef de la mafia montréalaise, Vito Rizzuto, tout en déplorant ce qui arrive à son ami Dupuis.

«C'est une campagne de salissage. Il montait peut-être des gros comptes de dépenses à la FTQ, mais c'est comme ça que ça marche dans la construction et dans le monde des affaires en général. C'est pas pour rien qu'il était le plus gros recruteur de membres de la centrale», de commenter Desjardins, en réaction au fait que Dupuis se soit fait rembourser 125 000$ en dépenses en six mois par la FTQ. «De toute façon, c'est pas pire que les politiciens qui s'en mettent plein les poches. Eux autres, par contre, ils s'en tirent tout le temps», a-t-il ajouté, furieux que son nom revienne dans l'actualité pour une affaire pareille.

«Toute cette affaire n'a aucun sens. Ça fait cinq ans que je travaille comme un fou, et ça risque de tout foutre en l'air. Les autres contracteurs, les distributeurs, les employés, tout le monde avec qui je fais affaire vont se poser des questions», s'inquiète Desjardins. Comme quelques millionnaires du narcotrafic le font, il a ouvert une entreprise de construction. Il est à la tête d'une société à charte fédérale - Desj.&Cie, Desj.&Co et Les Investissements Lasister et Kane - qui a des intérêts dans le Groupe Samara, un promoteur immobilier qui fait notamment des affaires dans l'est de Montréal.

«Depuis cinq ans, la manne est là, dans la construction. J'ai commencé par des petites jobs de reconstruction de bâtisses sinistrées du domaine commercial et industriel», de dire Raynald Desjardins. Aujourd'hui, il dit faire surtout dans le développement résidentiel. À titre d'entrepreneur général, «je fais une mainlevée sur des terrains et j'engage des sous-traitants pour la construction», a-t-il expliqué. Il a investi dans Hochelaga-Maisonneuve, mais surtout dans des terrains du secteur de Rivière-des-Prairies appartenant à la famille de Giuseppe Borsellino, beau-frère de Lino Saputo. «On a des options sur 80 terrains, 11 sont construits, et cinq autres sont en voie de l'être», dit-il.

À l'en croire, c'est Jocelyn Dupuis, qu'il dit avoir connu par l'intermédiaire d'un avocat, qui l'a guidé dans les méandres de l'industrie de la construction. «Il m'a conseillé pour que tout fonctionne bien. Il m'a dit comment ça marchait les permis et les cartes de travail, il m'a introduit à l'APCHQ. C'est normal, il était un boss de la FTQ, un syndicaliste, et ils veulent eux aussi que ça aille bien dans la construction», de relater Desjardins. Il ne cache pas non plus s'en être fait un ami personnel. L'été dernier, ils ont même pris des vacances avec leurs femmes sur la Côte-Nord, fief syndical de Dupuis. «Et il reste mon ami, quoi qu'il advienne», d'enchaîner l'ex-gangster qui n'a jamais eu la langue dans sa poche.

Quant aux relations qu'auraient pu avoir Dupuis avec le motard Normand Marvin «Casper» Ouimet, des Hells Angels de Trois-Rivières, Raynald Desjardins dit n'en rien savoir. «Personnellement, je ne sais pas qui est Ouimet, mais s'il a une compagnie de construction, c'est normal que Dupuis le connaisse et même qu'il le rencontre, c'est lui qui dirige le syndicat. Dupuis va sur les chantiers, il connaît tout le monde», avance Desjardins. À deux reprises, au hasard d'une fête organisée par la FTQ et d'une visite dans un restaurant, Raynald Desjardins dit avoir lui-même rencontré le président de la FTQ-Construction, Jean Lavallée. «Et ça n'en fait pas un bandit pour autant», ajoute-t-il.

Au faîte de sa gloire dans le milieu interlope, alors qu'il était impliqué au plus haut niveau dans des trafics internationaux pour le compte de la mafia montréalaise, Desjardins, qui dispose d'une belle fortune, avait déjà d'importants placements à la Bourse et dans l'immobilier. Devant les tribunaux, il s'affichait comme le représentant de la firme Amusement Deluxe, une entreprise de Saint-Léonard qui se spécialisait dans le placement de machines à boules, de jeux vidéo et de tables de billard dans les tavernes, les bars et les dépanneurs. En réalité, il s'agissait d'une compagnie paravent. Ce commerce a fermé ses portes au milieu des années 90. Desjardins disait gagner de 80 000$ à 200 000$ par année.

«Tout ce que je fais aujourd'hui est parfaitement légitime. Comment veux-tu que je blanchisse de l'argent, tous mes états financiers sont vérifiés par des comptables. Depuis cinq ans, je suis même obligé de rendre des comptes à mon agent de libération conditionnelle», affirme Desjardins. Il a été incarcéré de 1993 à 2004 en marge d'une affaire d'importation de 740 kilos de cocaïne en association avec les Hells Angels du chapitre de Québec. Il n'aura plus à se rapporter à quiconque, à l'échéance de sa peine de 15 ans, l'automne prochain.