En tant que «gérant de service» chez le concessionnaire Gabriel Volkswagen, Mark Hritchuk devait s'assurer que les mécaniciens travaillent avec des outils sécuritaires. Voilà ce que le juge Jean Sirois a conclu, hier, en inculpant M. Hritchuk, sous deux accusations de négligence criminelle ayant causé des blessures à deux mécaniciens.

Le juge a rendu sa décision séance tenante, après quatre jours d'enquête préliminaire, au palais de justice de Montréal. Les accusations ont trait à un accident de travail survenu le matin du 10 février 2005, dans le garage situé avenue Dollard, à LaSalle.

 

Ce matin-là, Alain Daoust, un mécanicien qui possède plus de 20 ans d'expérience, a été gravement brûlé en tentant de vider le réservoir d'une auto avec une pompe artisanale. La pompe en question était activée par un chargeur de 12 volts. Un soudain reflux d'essence, les vapeurs et une étincelle ont transformé M. Daoust en torche humaine. Il a été brûlé au troisième degré sur 35% du corps. Il a subi 30 interventions chirurgicales depuis, et ce n'est pas fini.

Un autre mécanicien, Clyde Boyce, a lui aussi été brûlé, mais de moindre façon. Il a réussi à s'éteindre en allant se rouler dans la neige, et s'en est tiré avec des blessures à une main.

Dans le cadre de l'enquête préliminaire, il a été démontré que l'appareil normalement utilisé pour vider un réservoir d'essence, le «gas guzzler», était brisé, et ce, depuis plusieurs années. Clyde Boyce avait «patenté» une pompe, et c'est ce que les mécaniciens utilisaient généralement quand ils devaient vider le réservoir d'une auto pour effectuer une réparation. Il n'y avait pas eu de problème auparavant, mais ce matin-là, une série d'imprévus et de circonstances ont fait que ça a sauté.

Une disposition relativement nouvelle dans la loi

Ce que le ministère public reproche à M. Hritchuk, c'est d'avoir laissé les employés sous sa responsabilité travailler de façon non sécuritaire. Il aurait en quelque sorte péché par omission, en ne faisait pas réparer le «gas guzzler».

M. Hritchuk est le premier garagiste à goûter à la médecine d'une disposition introduite dans le Code criminel en 2004, (l'article 217.1), adoptée justement pour éviter les accidents de travail. Cet article stipule que celui qui supervise un travail doit prendre des mesures pour éviter qu'il n'en résulte des blessures pour autrui.

Hier, dans sa plaidoirie, l'avocat de l'accusé, Me Robert Delorme, a convenu qu'il y avait comme une «odeur de négligence», mais ce n'est pas parce qu'il y a négligence que celle-ci est criminelle. Pour répondre à ce critère, plaidait-il, il faut un niveau de conscience proche de la connaissance. Et puis, on ne peut prétendre que l'on vit dans une société à risque zéro, a-t-il ajouté.

Le procureur de la Couronne, François Allard, a soutenu de son côté «qu'on ne joue pas avec l'essence». Des mécaniciens qui ont témoigné s'accordaient pour dire que M. Hritchuk distribuait les tâches, mais n'intervenait pas dans le travail des mécanos. «Il aurait dû aller voir comment le travail se faisait», a plaidé Me Allard.

Même s'il y a eu faute d'employés, cela n'influe pas sur le devoir de M. Hritchuk, a fait valoir le juge, en rendant sa décision.

Le rôle du magistrat à cette étape du processus était de décider s'il y a suffisamment de preuves pour inculper le «gérant de service». Cela étant fait, ce sera au juge du procès, ou à un jury, d'évaluer la crédibilité des témoins et de décider de la culpabilité du «gérant de service».

Il est à noter que l'entreprise a été condamnée à une forte amende pour cet accident, au terme d'une enquête de la CSST. Si l'affaire se retrouve aujourd'hui en cour criminelle, c'est que M. Daoust a porté plainte à la police, et que le ministère public a décidé de porter des accusations.

Soulignons enfin que l'article 217.1 a été conçu dans la foulée d'une explosion qui avait tué 26 mineurs en Nouvelle-Écosse, en 1992, alors que le système de sécurité avait été débranché délibérément pour accélérer le travail. La poursuite pour négligence criminelle intentée contre les dirigeants a avorté en raison de difficultés juridiques. L'adoption de cet article visait justement à pallier cette lacune.