Alors que les forces policières dressent le bilan de l'opération SharQc, des voix demandent à ce que l'organisation des Hells Angels soit déclarée illégale. En attendant, c'est maintenant à la justice de jouer.

Après le spectacle des arrestations de Hells Angels, les grands patrons de l'opération SharQc laissent entendre que les motards - et autres grands criminels - ont encore une longueur d'avance, tellement il est difficile de saisir leurs biens. «L'enquête a permis d'avoir le portrait exact des Hells Angels, c'est aux politiciens de prendre les bonnes décisions», a déclaré l'inspecteur-chef Jocelyn Latulippe, responsable des enquêtes criminelles à la Sûreté du Québec.

Tout en restant extrêmement flou sur la nature et l'ampleur des opérations de blanchiment d'argent des Hells Angels, l'officier supérieur a indiqué que «la grande préoccupation» des enquêteurs était de freiner l'infiltration des Hells dans l'économie légale. «Il y a beaucoup d'argent sale. C'est l'ensemble des activités économiques qui est visé par les Hells Angels», a-t-il dit hier, en conférence de presse.

Contrairement à la croyance populaire, l'industrie de la construction ou tout autre secteur particulier du monde des affaires n'est pas, selon lui, une cible de prédilection des Hells Angels. À l'en croire, il n'y a aucun lien entre l'enquête SharQc - acronyme de Stratégie Hells Angels Rayon Québec - et les récentes visites-surprises rendues au Fonds de solidarité FTQ et à des entreprises de construction. C'est un secret de Polichinelle, par contre, que plusieurs membres des Hells Angels, dont Normand Marvin «Casper» Ouimet, du chapitre de Trois-Rivières, font dans le paysagement et la construction.

Durant l'enquête, les policiers affirment avoir saisi 5 millions en liquidités et des centaines de milliers de dollars en diverses drogues (cocaïne, haschisch et ecstasy). Ils ont aussi obtenu des ordonnances de blocage sur trois «résidences et commerces», des actions de deux compagnies et 17 comptes bancaires. À l'issue de la série de perquisitions menée mercredi, aux quatre coins du Québec, ils sont repartis avec 300 000$, des armes, une cinquantaine de véhicules, en majorité des motos, et un peu de drogue.

Sur le plan des affaires criminelles, les policiers estiment avoir atteint leur objectif qui était de «déstabiliser» les Hells Angels. Des 156 motards visés dans la rafle, 111 sont des membres en règle. Il en reste par conséquent seulement deux qui ne font pas l'objet d'un mandat d'arrestation, alors que 28 Hells sont toujours recherchés. Parmi eux, 25 sont des membres en règle. Trois ont été arrêtés en République Dominicaine où les Hells ont créé un chapitre au début de l'année, à l'instigation de Mario Brouillette et de son père Aurèle.

Quant au Hells Éric Bouffard, qui s'est déjà fait photographier en compagnie du gardien de but José Théodore, il a été arrêté en France où il accompagnait le fils de sa compagne à un tournoi de hockey. Il s'apprêtait à se rendre sur la Côte d'Azur, à l'occasion du 10e anniversaire du chapitre local des Hells Angels, quand il a été interpellé par la police française. Comme il n'entend pas s'opposer à son extradition, il devrait être ramené à Montréal dans les prochains jours.

Pour percer la muraille des Hells, les enquêteurs disent avoir mis à profit les renseignements colligés dans 81 enquêtes menées au cours des 20 dernières années. À elle seule, SharQc a forcé les policiers à mener de front pas moins de 23 enquêtes, depuis la fin de 2005. Une vingtaine de services de police ont été mis à contribution, sans compter les 12 escouades de lutte contre les motards et les gangs de rue. Des spécialistes de l'évasion fiscale, des armes à feu et des douanes ont également collaboré à l'enquête.

Le rideau n'aurait pu tomber sans l'aide de l'ancien sergent d'armes des Hells Angels de Sherbrooke, Sylvain Boulanger. Il a retourné sa veste après avoir quitté le club «en bons termes», il y a quelques années. Au moins deux autres criminels qui ont déjà travaillé avec la police devraient également s'avérer de précieux témoins à une étape ou l'autre du long processus judiciaire qui s'annonce.