En raison de son ton agressif et de ses appels insistants, Daniel Bédard faisait peur à Sylvie Fradette. La réceptionniste de l'Ordre des ingénieurs du Québec avait en tête Valery Fabrikant et Marc Lépine, «qui s'en sont pris à des ingénieurs».

Mme Fradette a rendu ce témoignage vendredi dernier, au procès de Daniel Bédard. Le jury a demandé à le réentendre hier matin, alors qu'il entreprenait ses délibérations. Les jurés doivent décider si Bédard, 50 ans, est coupable de harcèlement envers l'Ordre des ingénieurs du Québec. Les accusations visent la période qui s'échelonne de l'été 2007 au mois de novembre 2007.

 

Frustré parce que sa plainte contre un ingénieur avait été rejetée au terme d'un long processus, Bédard exigeait que le dossier soit rouvert, car il était persuadé d'avoir raison. Il demandait aussi des dommages exemplaires de 12 millions de dollars à l'Ordre. Selon la preuve de la Couronne, Bédard a appelé à l'Ordre de très nombreuses fois, il a envoyé des courriels, dont un qui mentionnait le nom de Valery Fabrikant (qui avait tué des collègues à l'Université Concordia en 1992).

La réceptionniste s'était fait installer une alarme de crainte de le voir arriver. D'ailleurs, il est venu une fois. Comme elle ne l'avait jamais vu, elle a laissé entrer «ce grand monsieur à l'air distingué et bien vêtu». Dès qu'il a ouvert la bouche, elle l'a reconnu. Elle a appelé des employés «très costauds» à la rescousse. Bédard a été prié de quitter les lieux. Mme Fradette a raconté que, à cette époque, elle gardait la porte d'entrée verrouillée en tout temps et que la photo de Bédard était affichée pour qu'elle puisse le reconnaître. Cette photo avait été obtenue de l'Ordre des technologues du Québec, dont Bédard a déjà fait partie et contre lequel il a également été en guerre. D'ailleurs, il a subi un procès pour harcèlement et menaces à l'endroit de membres du personnel de cet organisme, en 2005. Le jury l'avait toutefois acquitté. Ironie, ce procès avait été présidé par le juge Richard Mongeau, le même qui préside le présent procès.

Soulignons enfin que, par ses agissements et ses propos déplacés, voire effrontés, Bédard a accumulé quatre accusations d'outrage au tribunal depuis le début de son procès, à la fin avril. Il a notamment injurié le juge à plusieurs reprises. Il a aussi été accusé d'avoir proféré des menaces à l'endroit du procureur de la Couronne qui était affecté à ce procès au départ. Pour cette raison, c'est un autre procureur, Me Pierre Labrie, qui a dû prendre le relais, alors que le procès était déjà commencé. Bédard était libre au début de son procès, mais il est maintenant détenu. Il doit revenir devant le tribunal mercredi prochain pour répondre aux accusations d'outrage au tribunal.

Rappelons enfin que Bédard a assisté aux derniers jours de son procès dans une autre salle d'audience, où il suivait les débats par télévision en circuit fermé. Quand il se mettait à déraper ou à crier, le juge coupait le son pour ne plus l'entendre. Cette manière de faire a évidemment choqué Bédard.

Hier matin, après que le juge lui eut de nouveau coupé le sifflet, il a refusé d'entendre les directives que le magistrat a données au jury avant ses délibérations. Il a disparu de l'écran, et s'en est allé dans les quartiers de détention. Il a ensuite demandé à un constable spécial d'aller porter des papiers au jury, en précisant que ça ne s'adressait pas au juge. Le juge a évidemment intercepté les papiers et les a renvoyés à l'expéditeur...

N'étant pas parvenu à un verdict en fin de journée, hier, le jury est parti à l'hôtel. Les délibérations reprendront ce matin.