Dans une décision historique, vendredi, le juge André Denis a déclaré le Rwandais Désiré Munyaneza coupable de crime de génocide, de crime contre l'humanité et de crime de guerre. C'est la première fois qu'une personne est condamnée au Canada en vertu de la Loi sur les crimes contre l'humanité et les crimes de guerre, entrée en vigueur en 2000.

Le juge Denis, de la Cour supérieure du Québec, a commencé le résumé de son jugement en citant un survivant du génocide qui est venu témoigner à Montréal et qui a déclaré ceci: «Même si je me taisais, l'air, la terre et le vent hurleraient ce qui s'est passé au Rwanda.»

Ce même témoin, un jeune Tutsi nommé «C-18» par la Cour pour le protéger contre d'éventuelles représailles, a identifié Munyaneza, 42 ans, comme un dirigeant local des Interahamwe, une milice génocidaire formée par le parti gouvernemental hutu. D'avril à juillet 1994, 800 000 Tutsis et Hutus modérés ont été massacrés dans ce petit pays d'Afrique centrale.

«La preuve montre qu'aucun Rwandais n'est sorti indemne des événements du printemps de 1994, a dit M. Denis, devant une salle tellement bondée qu'une autre salle du Palais de justice de Montréal a dû être ouverte pour une transmission vidéo. Près de 15 ans après le génocide, les Rwandais ont peur... Leur blessure est immense, actuelle, insupportable et indélébile.»

Photo: Martin Chamberland, La Presse

Désiré Munyaneza

Reconnaître l'existence du génocide est une chose. Établir hors de tout doute raisonnable la culpabilité de Munyaneza dans les massacres qui se sont déroulés à Butare, une ville située au sud du pays, en était une autre. Munyaneza a déménagé au Canada après le génocide. Il a été reconnu par des survivants du génocide, qui ont alerté la police. Arrêté chez lui le 19 octobre 2005, en banlieue de Toronto, il a comparu devant le juge Denis le lendemain et se trouve détenu depuis. Sept chefs d'accusation ont été portés contre lui. Son procès a commencé en mars 2007. Soixante-six témoins ont été entendus, non seulement à Montréal, mais aussi en France, au Rwanda et en Tanzanie.

Le défi le plus important auquel faisait face le juge était de jauger la crédibilité des témoins, dont la plupart parlaient seulement le kinyarwanda et qui relataient des événements survenus il y a 15 ans. Le principal avocat de la défense, Me Richard Perras, a tenté de montrer que plusieurs témoins de la poursuite se contredisaient, et ne pouvaient avoir vu ce qu'ils prétendaient avoir vu. Il a lui-même fait témoigner 36 personnes.

Mais d'entrée de jeu, le juge Denis a déclaré ceci: «La plupart des témoins de la poursuite parlent de ce qu'ils ont vu et vécu. Ils parlent aussi de l'accusé. Leur crédibilité et la pertinence de leurs propos sont supérieures à celles des témoins de la défense. La plupart des témoins de la défense n'ont pas vu l'accusé pendant le génocide. À en croire plusieurs, il n'y a eu ni viols, ni meurtres, ni cadavres à Butare. De fait, il n'y a pas eu de génocide.»

Puis le juge a résumé les témoignages de 22 Rwandais, hommes et femmes, qui ont déclaré à la Cour avoir vu Munyaneza, fils d'un riche commerçant et membre de la bourgeoisie hutue de Butare, participer aux massacres et aux viols des Tutsis. À quelques reprises, Munyaneza, vêtu d'une chemise rose et d'un complet gris, à demi dissimulé derrière un panneau de verre en partie opaque, s'est pris la tête entre les deux mains.

«Je crois RCW-2 (la Cour a donné des noms de code à presque tous les témoins rwandais) quand il dit qu'il a vu l'accusé distribuer des uniformes et des armes aux Interahamwe. Je crois RCW-3 (une femme âgée) qui affirme que l'accusé est venu à la tête d'un groupe à trois reprises à sa maison pour la piller et tenter de trouver ses filles. L'accusé l'a frappée en lui reprochant d'être tutsie et l'a dénudée. Il portait arme et grenades.

«Je crois RCW-8 (Un Hutu) qui affirme que l'accusé a distribué aux Interahamwe les armes nécessaires aux tueries des Tutsis. L'accusé lui a remis personnellement une grenade et de l'essence avec laquelle il incendie les maisons tutsies. Les Tutsis capturés aux barrages sont remis à l'accusé et conduits à la mort. Je crois RCW-10 qui affirme que l'accusé était responsable de la barrière où les Tutsis sont tués... Il était l'un des dirigeants de la chasse aux Tutsis à Butare.

«Je crois C-17 qui affirme que des groupes d'Interahamwe dont fait partie l'accusé viennent chercher des réfugiés tutsis à la préfecture, les chargent dans des camionnettes et les amènent à la mort. L'accusé et son groupe violent à répétition les femmes tutsies réfugiées à la préfecture. Armé, l'accusé viole C-17 à plusieurs reprises. Elle voit l'accusé tuer deux hommes avec une machette pendant un transport de réfugiés. Je crois C-20 qui affirme (que) l'accusé tue des enfants enfermés dans des sacs.

«La preuve montre hors de tout doute raisonnable que l'accusé a participé à la traque des Tutsis, a conclu le juge. Fils instruit d'une des grandes familles bourgeoises de Butare, Désiré Munyaneza a été à l'avant-scène du mouvement génocidaire... Il a distribué des armes et des uniformes aux Interahamwe pour qu'ils s'attaquent aux Tutsis... Il a fait partie des assaillants qui ont tué des centaines de réfugiés tutsis à l'église de Ngoma. Il a violé et participé à l'agression sexuelle de dizaines de femmes tutsies...

Il a existé au Rwanda dès le 7 avril 1994 un projet prévu de détruire l'ethnie tutsie. Ce projet a été supporté par le président, les membres du gouvernement, l'armée, les Interahamwe et une partie de la population civile. L'accusé, de par son statut social et de par sa volonté, a participé de façon active à ce projet comme dirigeant Interahamwe et comme membre de l'élite locale qui a mis en oeuvre les éléments de ce qui allait devenir un génocide. »

Levant les yeux, M. Denis a regardé Munyaneza. «Levez-vous! lui a-t-il ordonné. Désiré Munyaneza, je vous trouve coupable des sept chefs d'accusation qui pèsent contre vous.» Les représentations sur la sentence se feront en septembre. Munyaneza est passible de la condamnation à vie pour chacun des crimes.

Désemparé, il a tenté de parler avec sa femme et les autres membres de sa famille, en larmes, présents dans la salle. Le gardien lui a mis les menottes et l'a dirigé vers la sortie. Son avocat, Me Perras, a annoncé qu'il allait porter le jugement en appel. Il a dit qu'il ne comprenait pas comment le juge avait pu accorder foi à plusieurs témoins.