«Tout le monde me demande comment je me sens. Je me sens comme je ne me suis jamais senti. Je me sens vide. Ça fait mal. Ça fait très mal. J'ai perdu ce qu'il y a de plus cher.»

Atterré, d'une voix entremêlée de sanglots, Hani Beitinjaneh a rendu un poignant témoignage aux funérailles de sa femme, Léa Guilbeault, célébrées hier matin dans le quartier Villeray à Montréal.

La mort brutale et absurde de cette Montréalaise, causée par la chute d'un bloc de béton sur une terrasse du centre-ville la semaine dernière, a provoqué une onde de choc partout dans la province.

Mme Guilbeault et son mari étaient attablés au restaurant Mikasa de la rue Peel pour y souligner leur deuxième anniversaire de mariage de même que le 33e anniversaire de la victime.

Cette dernière avait demandé au serveur la permission de changer de table sur la terrasse. Le geste s'est avéré fatal. Un morceau de béton de plusieurs centaines de livres s'est détaché du 17e étage de l'hôtel Residence Inn Marriott pour s'écraser sur Léa Guilbeault.

Son mari a aussi été blessé, en plus de subir un violent choc nerveux. Il a notamment été amputé de quelques doigts.

Hier matin, l'homme, aussi âgé de 33 ans, est arrivé à l'église en fauteuil roulant, une jambe enveloppée, un bras en écharpe, soutenu par ses proches.

Son fauteuil incliné vers les banquettes bien remplies de l'église Sainte-Thérèse-de-l'Enfant-Jésus, le jeune veuf s'est péniblement exprimé devant ses proches, collègues et nombreux badauds venus rendre hommage à la jeune femme.

L'impuissance et le désarroi se lisaient sur le visage de M. Beitinjaneh, des sentiments que partageaient plusieurs personnes réunies dans l'église. «La première nuit, je n'ai pas dormi. J'étais en colère. La deuxième nuit, j'ai essayé de dormir, afin de me réveiller de ce cauchemar. Je ne peux pas comprendre comment ça a pu arriver à Léa, c'était un ange», a laissé tomber Hani Beitinjaneh.

Puis, prenant son courage à deux mains, le mari a enchaîné: «C'était une vraie histoire d'amour. Je n'avais jamais rencontré quelqu'un comme elle. Je vais m'ennuyer de toi pour toujours.»

Plusieurs amis et membres de la famille de la disparue se sont aussi succédé au lutrin, à commencer par sa mère qui a dit se souvenir «comme si c'était hier» du jour de la naissance de sa fille. «Quand papa et moi t'avons ramenée à la maison, on était si fiers de ramener le plus beau trésor au monde, a raconté Micheline Guilbeault. Tu vas donner du courage et de la force à la famille jusqu'à ce qu'on soit réunis de nouveau. D'ici là, Léa, on va t'aimer à jamais», a-t-elle ajouté, avant d'être chaudement applaudie.

Rencontrée sur le parvis de l'église, Laurie Preiato avait du mal à accepter le bête accident qui lui a volé sa grande amie de jeunesse. «Léa était douce, aimable. Personne ici n'a du mal à dire d'elle. C'est tellement tragique», a soupiré la jeune femme.

»Elle ne doit pas mourir pour rien»

Pour cette autre amie de la famille, la mort de Léa ne doit pas rester vaine. «Elle ne doit pas mourir pour rien. Je veux que sa mort serve de leçon au gouvernement pour assurer une meilleure inspection des bâtiments», a lancé Dalal Siage.

Shriley Benaroch, une collègue la jeune femme, abondaient dans le même sens. «Il est temps que la Régie du bâtiment inspecte tous les immeubles. Qui sait si quelque chose ne nous tombera pas sur la tête en marchant dans la rue?»

Mais Dalal Siage est d'avis qu'il faut laisser le temps à la famille de vivre son deuil avant d'évoquer la perspective de poursuivre en justice les propriétaires de l'hôtel où s'est joué le drame.

Hier, en tout cas, la tristesse semblait largement l'emporter sur la colère.

Une tristesse généralisée, à en juger par ces nombreux citoyens secoués par la mort de la jeune femme, qui travaillait à titre de conseillère en finances personnelles dans une succursale montréalaise des caisses Desjardins.

Plusieurs instances, dont le coroner Jacques Ramsay, ont par ailleurs amorcé une enquête pour faire la lumière sur cet accident. La thèse de la corrosion a déjà été avancée par la Régie du bâtiment.

La dernière inspection de l'établissement hôtelier remontait à l'an 2000 et n'avait relevé aucune irrégularité. Des experts en bâtiment interrogés par divers médias au cours des derniers jours estiment toutefois que ce délai est beaucoup trop long.

Par précaution, la Régie du bâtiment n'a toujours pas autorisé la réouverture du tronçon de la rue Peel où a eu lieu le drame.